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avec lui un cabinet ? Qui ne sait les tentatives inutiles qu’il a faites à plusieurs reprises du côté de M. de Montalivet ? Qui ne se souvient de la coalition et du triste spectacle qu’a donné M. Guizot mendiant l’appui de M. Thiers, de M. Barrot, de M. Berryer, non pas dans l’intérêt du pouvoir, mais dans l’intérêt de son ambition ; abandonnant son drapeau, son parti ; de conservateur se faisant tribun, et soutenant les principes extrêmes avec le zèle d’un nouveau converti. M. Guizot ne veut pas que le pouvoir soit protégé ! De la part d’un ministère qui aurait quarante voix de majorité, cette déclaration se comprendrait ; mais de la part d’un ministère qui accepte l’appui des radicaux et des légitimistes, elle n’a rien de sérieux. M. Guizot, qui ne veut pas que le pouvoir soit protégé, a sans doute la prétention de ne pas l’être lui-même. Sur ce point comme sur le reste, M. le ministre des affaires étrangères serait encore en défaut. Tout le monde sait en effet que M. Guizot personnellement ne réunit pas vingt voix dans la chambre ; le parti ministériel ne lui appartient pas ; ses sympathies sont à M. Duchâtel, plus habile que M. Guizot dans l’art de se concilier les hommes et de discipliner une majorité. Ainsi donc, M. Guizot, qui fait aux candidats du pouvoir une situation si dure, ne remplit pas lui-même les conditions qu’il impose. Le pouvoir est humilié doublement dans sa personne, d’abord parce qu’il fait partie d’un ministère protégé, ensuite parce qu’il est protégé lui-même dans ce ministère.

Dès le lendemain de la discussion des fonds secrets, il a été facile de reconnaître que la situation du ministère était toujours la même. Les questions d’affaires ont remplacé les questions politiques, et la discussion des affaires est venue démontrer de nouveau que le cabinet ne peut diriger la chambre. Le projet de loi sur le conseil d’état a été débattu. La matière est importante, mais devant un cabinet qui n’a de système arrêté sur rien, devant une administration qui ose à peine songer au lendemain, devant une chambre inattentive, distraite, qui semble mettre en doute la présence même des ministres sur leurs bancs, comment discuter sérieusement une question pareille ? comment examiner toutes les difficultés qu’elle soulève ? Aussi, la discussion a été tronquée. On a même été au moment de couper court à l’examen des articles et de renvoyer la loi dans les cartons de la chancellerie. La précipitation de la chambre ne l’a pas empêchée néanmoins de repousser l’opinion du gouvernement sur plusieurs points. C’est un résultat auquel il faut maintenant s’habituer. Que la discussion soit approfondie ou non, peu importe ; tout projet de loi présenté par le cabinet ne peut sortir intact du débat. Le projet sur le conseil d’état, modifié par la chambre élective, passera donc de nouveau sous les yeux de la chambre des pairs.

Un incident, qui est venu interrompre dès le début la discussion du projet de loi sur le conseil d’état, a montré, par l’agitation soudaine qu’il a répandue, les véritables préoccupations de la chambre. L’honorable M. Garnier-Pagès a interpellé le gouvernement sur ses intentions à l’égard de l’emprunt que l’Espagne veut négocier sur la place de Paris. Le gouvernement autorisera-t-il