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chef répondit par les mêmes protestations pacifiques ; mais, quant à l’abandon de Lalla-Maghrania et de toute la rive gauche de la Tafna, il dit que Dieu seul pouvait l’y contraindre. De ce jour, il n’y eut plus aucune communication.

Nous apprenions à chaque instant par quelques Arabes des environs de Nédroma, qui communiquaient avec le camp des Marocains, que l’armée du fils de l’empereur se renforçait journellement, que déjà elle se composait de sept camps, posés sur sept collines rapprochées ; ils ajoutaient que chacun de ces camps était aussi grand que le nôtre.

L’approche du fils de l’empereur, les forces nombreuses qu’il conduisait, avaient réveillé les espérances derrière nous. La bonne volonté des tribus s’affaiblissait graduellement. Les transports qu’elles nous fournissaient diminuaient. Quelques partis s’étaient montrés sur notre communication avec le port de Djemaâ-Ghazaouet. Il était à redouter que les Marocains ne fissent un gros détachement par notre gauche, pour aller avec Abd-et-Kader insurger le pays derrière nous. Toutes ces circonstances rendaient une bataille désirable, car une plus longue attente pouvait nous ruiner sans combattre. Il était urgent d’attaquer cette armée tant qu’elle était agglomérée, et avant qu’elle eût reçu des renforts d’infanterie, qui devaient lui arriver des montagnes du Riff.

Le maréchal se décida donc à attaquer l’armée marocaine. A cet effet, il rappela le général Bedeau, qui était en observation à Sebdou avec 4 bataillons et 4 escadrons. Il appela aussi à lui 2 escadrons du 2e de hussards qui étaient arrivés à Tlemcen. Ces deux détachemens le rejoignirent le 12 août.

Depuis plusieurs jours, le maréchal préparait moralement et matériellement sa petite armée à la grande action qui s’annonçait ; il réunit plusieurs fois les officiers, sous-officiers et soldats autour de lui, pour les bien pénétrer de quelques vérités, de quelques principes, dont la démonstration et l’application étaient prochaines.

« Les multitudes désordonnées, leur disait-il, ne tirent aucune puissance de leur nombre, parce que n’ayant ni organisation, ni discipline, ni tactique, elles ne peuvent avoir d’harmonie, et que sans harmonie il n’y a pas de force d’ensemble. Tous ces individus, quoique braves et maniant bien leurs armes isolément, ne forment, quand ils sont réunis en grand nombre, qu’une détestable armée. Ils n’ont aucun moyen de diriger leurs efforts généraux vers un but commun ; ils ne peuvent point échelonner leurs forces, et se ménager des réserves ; ils ne peuvent