vient de faire à la Grande-Bretagne de l’indépendance maritime et de la dignité nationale. À ne se préoccuper que des sentimens d’humanité et de justice, n’était-ce pas une chose honteuse, d’ailleurs, que dans les domaines de l’Espagne, le commerce des nègres fût encore ouvertement protégé comme dans cet empire à demi civilisé du Brésil ? Les écrivains qui ont le mieux étudié Cuba, M. de Humboldt, M. Saco, M. Ramon de la Sagra et tous les autres, ne craignent point d’affirmer que le négrier espagnol est de nos jours aussi avide, aussi cruel, aussi destitué de principes religieux et moraux qu’à l’époque où les célèbres débats du parlement anglais sur l’émancipation des esclaves mirent à nu tout-à-fait son hideux brigandage. Hier encore la traite était l’ordinaire occupation de la marine marchande espagnole. De tous les ports de Cuba, parfois même des ports de la Péninsule, de Cadix et de Barcelone surtout, de rapides vaisseaux, cent cinquante environ, cinglaient tous les ans vers les côtes d’Afrique. À leur retour des marchés infames où ils s’étaient pourvus de leur cargaison humaine, quarante au moins entraient à la Havane, quarante à la Trinidad et à Santiago, vingt à Matanzas. Dans chacune de leurs cales étroites, huit cents nègres au moins étaient entassés. Sur ces huit cents nègres, une centaine périssait avant d’avoir un maître ; mais qu’importaient au négrier les petites avaries que pouvait essuyer sa marchandise ? Songez donc que, s’il pouvait seulement débarquer cinq cents esclaves dans l’île, il réalisait un bénéfice net de 120 à 130,000 duros (de 600 à 650,000 francs) ! Un si énorme gain valait bien la peine qu’on bravât la croisière anglaise, et d’ailleurs un brick de négrier, bien gréé, bien léger, monté par un équipage vieilli dans la traite et connaissant tous les écueils, toutes les baies, toutes les anses des mers qu’il pratique, peut aisément échapper à tous les croiseurs du monde le long des immenses côtes méridionales d’Afrique et des côtes non moins vastes de Cuba. À Regla, à Casa-Blanca, à Baltimore, il y avait des chantiers spéciaux où l’on ne construisait que des bricks de négriers.
Arrivé dans l’île, le négrier avait pour lui tous les planteurs manquant de bras, qui le venaient supplier de leur vendre ses esclaves, toutes les autorités subalternes, qui, pour une légère redevance, fermaient les yeux sur ses plus hardies opérations. Les plus énergiques réclamations de l’Angleterre forçaient-elles parfois de faire un exemple, le négrier n’était passible que des peines prononcées par les lois de l’île, lois absurdes et confuses, chaos inextricable, où le juge ne rencontrait jamais une arme assez forte, non pas pour punir, mais pour intimider l’effronté trafiquant. Si vous remontiez plus haut, dans