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comparer les chiffres. Durant les huit dernières années où s’est maintenue la traite, la production a été de 518,731,074 kilogrammes ; elle en a donné 553,058,466, de 1832 à 1838.

En résumé, à ne considérer que les résultats généraux, les colonies françaises et anglaises n’ont vu d’aucune façon décroître, par la suppression de la traite, ni leur industrie ni leur importance. Remarquez d’ailleurs qu’une telle situation, qui aujourd’hui seulement va commencer aux Antilles espagnoles, sera incomparablement meilleure pour l’île de Cuba. Les colonies françaises, les colonies anglaises, avant l’acte d’émancipation de 1834, ne présentaient qu’une surface singulièrement étroite à la colonisation européenne, si on la compare aux immenses campagnes vierges qui, depuis Colomb, sollicitent le travail libre dans la première Antille où ait abordé le grand navigateur. Le gouvernement de Madrid est tout-à-fait revenu enfin de l’incroyable préjugé qui autrefois le portait à ouvrir de nombreux asientos, et, hier encore, à favoriser, par ses capitaines-généraux, la contrebande négrière. Le plus grand péril pour la métropole, ce n’est pas que les colons de Cuba rêvent l’indépendance. L’île de Cuba ne cesserait d’être espagnole que pour devenir anglaise ou s’incorporer dans l’Union américaine. Gagnât-elle à sa condition nouvelle les droits politiques que lui a ôtés l’Espagne, il est certain qu’elle y perdrait sous le rapport industriel et commercial. La rivalité jalouse et sans cesse en éveil des États-Unis et de l’Angleterre est une garantie sûre que, de bien long-temps, Cuba ne secouera la domination péninsulaire, fût-elle aussi résolue à s’émanciper que l’étaient en 1776 les colons anglais de l’Amérique du Nord, ce qu’en dépit des justes griefs de la colonie espagnole, on peut, non pas révoquer en doute, mais nier absolument. L’Espagne n’est donc plus disposée à éluder les conventions conclues avec l’Angleterre contre la traite : les récentes discussions des cortès, la promulgation du code pénal qui sanctionne le droit de visite, l’appel que M. Martinez de la Rosa vient de faire aux classes laborieuses de l’Europe, le démontrent de la plus formelle façon.

Au demeurant, si on le voulait bien, tout ce luxe de répression contre le trafic des nègres serait parfaitement inutile ; pour détruire la traite à Cuba, une des deux contrées américaines où en ce moment encore elle se pratique, le gouvernement de Madrid pourrait fort bien se passer de l’intervention anglaise. Plût à Dieu qu’il fût aussi facile d’en venir à bout au Brésil, cet autre pays du Nouveau-Monde où le négrier exerce son industrie ! A Cuba, le capitaine-général tient pour ainsi dire dans sa main les négriers et leur fortune ; impossible de se