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porter aucun préjudice aux intérêts coloniaux, en supprimant l’esclavage même. Maintenant la traite crée au travailleur libre une concurrence écrasante contre laquelle il n’est pas possible de lutter.

Nous voici enfin parvenu’ à la, plus sérieuse objection qui se puisse faire contre le travail libre. Supposez qu’il n’ait plus à redouter la concurrence qui actuellement l’empêche de se constituer aux Antilles espagnoles : comment les planteurs seraient-ils en état de lui payer son salaire ? Une telle objection n’a pas plus de valeur que les autres : M. Saco, qui traite la question avec une véritable supériorité de vues économiques, en signale clairement le vice radical. Se prévaloir de l’excessive élévation du salaire aux Antilles pour conclure contre le travail libre, n’est-ce pas conclure contre ses prémisses ? C’est tout au contraire la traite qu’il faut condamner, car vous venez précisément de mettre en relief un des abus intolérables qu’elle doit nécessairement entraîner. Que le travail des blancs soit hors de prix dans les plantations, cela est facile à comprendre ; c’est une preuve tout simplement que les travailleurs libres n’y ont pénétré encore qu’en très petit nombre. Que les ouvriers s’accroissent, et le salaire diminuera de toute nécessité. Du soir au lendemain, il descendit, en 1841, à un taux raisonnable dans la ville de Puerto-Principe, où venaient de débarquer deux cents laboureurs de Catalogne : que serait-ce donc si la colonisation blanche se pratiquait en grand dans l’île entière, et si les bras d’Europe arrivaient, non plus par centaines, mais par milliers ?

Au fond, dans le cas même où le travail libre imposerait au planteur des frais aussi considérables que le supposent les partisans de la traite, ce ne serait point une raison pour ne pas chercher à l’établir aux Antilles espagnoles. Sans doute, il y aurait là un inconvénient et un mal ; mais y porter remède en maintenant un mal plus grand encore, en arrêtant les progrès de la colonisation européenne, en la rendant désormais impossible, ce serait méconnaître les plus simples principes de l’économie sociale. On serait d’autant plus coupable que jamais, en aucun état de cause, une telle situation ne peut être désespérée, et que, par les améliorations positives, par la réforme de l’administration générale, on viendrait aisément à bout du malaise que pourrait entraîner la réforme de la constitution particulière du travail. Pour prévenir ce malaise, il suffirait d’alléger le poids des contributions sous lesquelles fléchit maintenant l’industrie sucrière : pourquoi même ne supprimerait-on pas, pour un certain temps, celles dont on frappe aujourd’hui les objets de première nécessité que le planteur est tenu de ses ouvriers ? Qu’on ouvre des routes sur la surface entière de l’île ; qu’on fasse disparaître les obstacles innombrables qui, sur