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la race noire est seule en état de supporter ce brûlant soleil d’Amérique, moins brûlant encore pourtant que son soleil africain. Ici également, nous avons à combattre d’étranges préjugés et des exagérations incroyables. Si l’Européen, le naturel de tout pays froid, est sujet à la fièvre jaune, dont le nègre est exempt, il ne faut pas s’imaginer que pour ce dernier ce soit là un vrai privilège. Les créoles de Cuba, les naturels de toutes les autres îles de l’Atlantique, ceux de l’Amérique espagnole, de tous les pays enfin dont le climat est exactement semblable à celui de Cuba, ne sont-ils pas aussi respectés par le fléau des Antilles ? Songez en outre que, mieux connue, mieux traitée, la fièvre jaune se guérit maintenant comme toute autre maladie ; si de temps à autre elle emporte encore les Européens, ce n’est plus au climat qu’on le doit imputer, mais à l’imprudence des nouveaux débarqués, à leur manière de vivre, à leurs habitudes déréglées. Aujourd’hui, on le peut affirmer, la fièvre jaune est reléguée sur les côtes ; pénétrez un peu avant dans les terres, et vous n’avez plus rien à craindre de la contagion. Cela est si vrai que, lorsqu’on veut acclimater à Cuba les régimens arrivés d’Espagne, on se borne tout simplement à les interner durant les premiers mois ; il suffit pour cela qu’ils s’éloignent de deux ou trois lieues, et, en certaines saisons, d’une demi-lieue seulement, de cette baie fameuse de la Havane, où sévissait autrefois la fièvre avec le plus de persévérance et d’intensité.

Au demeurant, si le nègre est exempt de la fièvre, n’est-il pas plus sujet que le blanc à toutes les infirmités qui accablent l’espèce humaine ? Combien, dans la hideuse cale du négrier, expirent au milieu des plus atroces souffrances, avant même d’arriver en vue des Antilles ! Combien, durant leur vie entière, sont frappés de maladies particulières à leur race, de plaies cruelles qui rongent la peau et dévorent les membres ! Combien sont atteints de cette manie mortelle qui les pousse à manger de la terre, de cette éruption vénérienne incurable si connue aux Antilles sous le nom de pian ! En 1833, quand le choléra-morbus envahit la colonie espagnole, c’est surtout contre la race noire que se déchaîna le fléau asiatique. Il serait instructif de dresser l’exact tableau de la mortalité aux Antilles : on verrait si, tous les ans, la race noire ne fournit point à cette liste funèbre le plus considérable, contingent. Tous les mois, d’ailleurs, on voit à Cuba débarquer par centaines, après une traversée difficile, les naturels des Canaries et ceux de l’Amérique du Nard, des Européens de toutes nations, Espagnols, Français, Anglais, Allemands : comptez ceux d’entre eux qui succombent aux chaleurs et à l’inclémence du climat,