Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie les sèment et les récoltent ? La fabrication du sucre est incontestablement plus pénible ; c’est pourtant une exagération véritable de prétendre que le blanc n’y peut suffire. Il suffit bien à la fabrication du fer, à la construction des chemins, des ponts et des canaux, à la préparation des produits chimiques, à l’exploitation des mines. Il n’est pas, dans la préparation du sucre, un seul procédé qui nécessite une si considérable dépense de force que ces travaux, accomplis chaque jour aux Antilles par des ouvriers européens. Ajoutez que de toutes les professions imaginables, la fabrication du sucre est la plus saine ; ajoutez que l’invention et le perfectionnement de certaines machines dispenseront bientôt l’homme des plus épuisantes fatigues. Ici encore, nous avons pour nous l’expérience ; l’immense quantité de sucre qui tous les ans s’exporte des possessions anglaises ou hollandaises d’Asie, de Java, des Moluques, de Sumatra, qui donc les produit, sinon des ouvriers libres ? Parlerons-nous de la Prusse, qui aujourd’hui même possède cent fabriques de sucre ; de la Russie, qui en a cent soixante environ ; de l’Allemagne, qui en compte déjà plus de cent quarante ; de la France, qui en avait naguère un plus grand nombre que ces trois pays ? On dira peut-être que le sucre de canne est le seul qui soit en question ; mais, dans les provinces de Malaga et de Grenade, l’Espagne elle-même possédait autrefois de magnifiques plantations de cannes à sucre. Si les malheurs politiques y ont tué cette industrie dont les vestiges subsistent encore à Velez, à Nerja et dans quelques autres villes, qu’en peut-on inférer contre l’aptitude des blancs ?

Nous le voulons bien pourtant, ne parlons que de l’Amérique : est-il donc bien difficile d’y trouver des colonies entières où, à de certaines époques, on s’est, et sans le moindre inconvénient, passé du travail des noirs ? A Puerto-Rico, en 1832, sur quinze cent soixante-dix-sept plantations, trois cents au plus étaient exploitées par des ouvriers esclaves. Au Mexique, c’est mieux encore : depuis un siècle déjà, quand on achète une habitation au Mexique, on a peine à y rencontrer quelques vieux nègres, faibles débris de la servitude ancienne, et encore s’empresse-t-on de leur rendre la liberté. Si l’industrie sucrière est profondément déchue dans la Nouvelle-Espagne, ce n’est pas au défaut d’esclaves noirs qu’on doit s’en prendre, mais aux convulsions civiles qui maintenant encore désolent ce malheureux pays, à la difficulté des transports, au mauvais état des routes, à la rareté des débouchés, au taux misérable où les produits sont enfin descendus.

Mais on dira : peu importe que les ouvriers européens soient aptes à l’industrie sucrière, s’ils ne peuvent résister au climat des Antilles, si