Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux-ci ont trouvé l’indépendance. Au sud, la Grande-Bretagne brandit incessamment à la Jamaïque le drapeau de l’émancipation : dans une seule nuit, les émancipateurs de la Jamaïque pourraient venir en aide aux révoltés de Cuba. Çà et là, dans l’archipel de Bahama, vous apercevez, menaçant la Havane et tous les flancs de la colonie, les îlots où les croiseurs britanniques déposent les esclaves arrachés aux négriers. Nous ne parlons point de nos esclaves de la Martinique et de la Guadeloupe, qui tôt ou tard également, ressaisiront leur liberté. Regardez plutôt au nord, du côté même où les caps de la Floride et les ports de la Louisiane, de la Géorgie et des Carolines, établissent de si directes, de si fréquentes communications entre Cuba et le continent américain : de ce côté, trois millions de noirs s’agitent sourdement, résignés en apparence, mais à tout moment excités par les innombrables sociétés abolitionistes ; trois millions, ni plus ni moins, dont l’Union américaine, ce colosse des mers atlantiques, redoute elle-même les emportemens convulsifs. Que l’Espagne se hâte : l’heure est venue de réparer les fautes des régimes absolus et des premiers régimes constitutionnels. L’île de Cuba est la plus importante colonie qu’elle ait conservée dans le Nouveau-Monde ; par les contributions écrasantes dont on l’a frappée, l’île de Cuba, bien souvent, a suppléé presque, depuis Ferdinand VII, aux tributs énormes que sa métropole tirait autrefois des Indes occidentales. C’est elle qui, en ce moment, ouvre les plus vastes et les plus sûrs débouchés au commerce et à l’industrie de la Péninsule ; que l’Angleterre s’empare de Cuba, et un coup mortel est porté à la marine marchande de l’Espagne, qui maintenant aspire à se relever. Par sa position géographique, l’île de Cuba doit assurer à l’Espagne régénérée une influence prépondérante dans les évènemens qui tôt ou tard changeront la face du nouvel hémisphère. C’est à l’Espagne de voir s’il lui convient de sacrifier d’avance et aujourd’hui même une telle influence aux États-Unis ou à l’Angleterre, qui l’une et l’autre convoitent cette magnifique possession, que, dans leur admiration naïve, les vieux chroniqueurs ont nommée le boulevard des Indes occidentales, la clé du golfe de Mexique, la sentinelle avancée du canal de Bahama.

Si l’Espagne veut conserver Cuba, il faut de toute nécessité qu’elle comprenne ce qui lui reste à faire. Ce n’est pas tout que de proclamer la suppression de la traite ; le code pénal qu’elle vient de promulguer, toutes les prescriptions par lesquelles elle essaiera de décourager les trafiquans d’esclaves, rien ne lui réussira, si elle ne se met en devoir de substituer dans l’île même au gouvernement d’un capitaine-général