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ne l’avaient contraint de faire, lui aussi, une démonstration contre la traite et le commerce des noirs. Le 2 juin 1843, le gouvernement de Madrid ordonna au capitaine-général Valdez de réunir une commission de colons et de négocians, et de prendre son avis sur les moyens d’en finir avec la traite. Ce document est, sans aucun doute, un des plus étranges, un des plus bizarres qu’il soit possible d’imaginer ; cette traite, si solennellement flétrie par le congrès de Vienne, dont toutes les puissances, grandes et petites, s’étaient engagées à poursuivre l’abolition, et qui, entre l’Espagne et l’Angleterre, avait été à deux reprises, en 1817 et en 1835, l’objet des conventions les plus formelles, voulez-vous savoir comment on la qualifiait dans la dépêche du 2 juin adressée au capitaine-général de Cuba ? Pour le gouvernement du comte-duc qui, près de tomber, n’avait plus conscience, sans aucun doute, de ses actes ni de ses paroles, la traite, au moment où il s’agissait de la supprimer complètement, était, nous nous bornons à traduire les expressions de la dépêche, une sorte d’institution qui jusqu’alors avait efficacement, puissamment contribué à maintenir l’agriculture à Cuba, à y développer tous les germes de la richesse, à y fonder une prospérité sans exemple dans les Indes occidentales. Le moyen que le capitaine-général de Cuba prît au sérieux le projet d’abolition dont lui parlait le gouvernement de Madrid, entremêlant ses menaces contre les négriers d’éloges et, s’il faut tout dire, d’encouragemens qu’au XVIe siècle même on se fût fait scrupule de leur accorder !

On le comprend sans peine, le général Valdez ne tint aucunement compte des instructions si manifestement contradictoires que lui envoyait un régime dont la dernière heure était sur le point de sonner. Le général ne jugea pas même à propos de nommer cette commission de négocians et de planteurs, qui devait aviser aux moyens de supprimer l’industrie des négriers ; mais, devant l’expérience, il n’est pas de préjugé qui ne soit contraint de fléchir, si ancien, si enraciné qu’il puisse être ; à Madrid comme à la Havane, les dernières insurrections ont enfin dessillé tous les yeux. Le mal qui d’heure en heure travaille jusque dans les entrailles la société d’élite que forment à Cuba les descendans des premiers colons espagnols, s’est montré dans sa réalité effrayante ; il faut bien, si l’on veut y porter remède, prendre le parti de remonter à la vraie cause de tous les périls. En 1843, en 1844, les révoltés ont subi une répression sanglante qui, chez les noirs, a répandu la terreur, et chez les blancs une consternation profonde. Un grand nombre de nègres et d’hommes de couleur furent passés par les armes. Parmi les condamnés se trouvait un jeune mulâtre, Placido,