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le gouvernement de Madrid ferait preuve d’une complète inintelligence, s’il ajournait au lendemain les mesures qui peuvent encore extirper le mal ou du moins en arrêter l’effroyable développement. Il ne s’agit point ici d’examiner comment l’Espagne peut empêcher sa plus brillante colonie de suivre l’exemple des républiques méridionales de l’Amérique ; ce serait bien peu connaître l’état présent des Antilles espagnoles, si l’on s’imaginait que la race blanche y puisse en ce moment méditer de grands projets d’indépendance. Non, ce n’est point là qu’est le péril ; c’est une question de vie ou de mort qui maintenant se débat pour cette race, et non pas une pure question politique. Lorsqu’on a tant à craindre pour sa fortune, pour l’existence même, a-t-on bien le temps de songer à l’émancipation ?

Le péril aujourd’hui est tout entier, et pour la colonie et pour la métropole, dans l’attitude hostile, les alarmantes dispositions, les ressentimens inexorables de la race noire, qui, hier encore, avait recours à l’insurrection déclarée. En 1842, une révolte éclata dans une habitation particulière, où se trouvaient les esclaves employés aux travaux du chemin de fer de Cardenas. On crut d’abord qu’il fallait s’en prendre d’une telle explosion aux nombreux voituriers qui autrefois transportaient les sucres à Matanzas, et dont la construction du chemin de fer devait nécessairement ruiner l’industrie : cela parut d’autant plus vraisemblable, qu’un violent incendie dévora, quelques mois plus tard, une seconde habitation, une des plus belles de l’île, appartenant aux principaux actionnaires des chemins de fer de la Havane et de Matanzas ; mais, à la fin de 1843, on fut bien forcé d’assigner à tous ces mouvemens, à tous ces symptômes, leur cause véritable et leur véritable caractère. En novembre 1843, une insurrection, dès long-temps préparée, ayant ses chefs, son drapeau, et, si l’on peut ainsi parler, pratiquant la propagande, mit complètement à découvert les réelles et constantes préoccupations de la race noire. Cette fois, les rebelles ne se bornèrent point à incendier quelques maisons et à couper sur pied les cannes à sucre ; quand la révolte fut accomplie, ils ne songèrent point à chercher un refuge dans les montagnes ; c’était à des ennemis politiques, à des ennemis de caste et de race que l’on avait affaire, et non point à des maraudeurs. On put aisément s’en convaincre lorsqu’on les vit, après avoir assassiné leurs maîtres, parcourir le pays, le fer et le feu à la main, appelant aux armes tous ceux de leurs frères qui ne jouissaient point encore de la liberté. Un jour de plus, et Cuba eût été le Saint-Domingue du XIXe siècle ; par bonheur, au moment où la conflagration s’allait répandre dans la colonie