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les affaires de la colonie. M. Saco n’est pas un inconnu pour l’Europe. Une femme qui par sa naissance appartient à Cuba, par son éducation à la France, Mme la comtesse Merlin, dans un travail publié ici même[1] sur sa patrie lointaine, a dignement caractérisé le talent du publiciste havanais. Mme la comtesse Merlin l’a dit en d’excellens termes, M. Saco se fût fait estimer en tout pays pour la netteté des aperçus, la force des idées, le tissu serré des déductions et la concise fermeté du style. Sans aucun doute, Mme la comtesse Merlin faisait allusion à de remarquables essais sur les Causes du Vagabondage à Cuba et sur la Construction des chemins. M. Saco y décrit avec une exactitude scrupuleuse l’état présent des Antilles ; pour qui sait observer et prévoir, il est aisé d’y pressentir l’avenir réservé dans le Nouveau-Monde à la civilisation européenne. De 1832 à 1834, M. Saco a dirigé la Revista bimestre Cubana, si célèbre aux Antilles, qui, selon M. Quintana, ce doyen des lettres castillanes, est une des meilleures revues jusqu’ici publiées dans les pays espagnols. À cette époque déjà, M. Saco dénonçait à la métropole la hideuse industrie négrière avec toute l’énergie de son talent, mais avec la modération de son caractère. Cette modération pourtant ne le put mettre à l’abri de la persécution ; un ordre du capitaine-général Tacon lui enjoignit de quitter l’île, où depuis lors il n’a pu rentrer. Deux ans plus tard, en 1836, l’opinion publique rapportait à Cuba un si étrange arrêt de proscription ; M. Saco fut nommé député aux cortès. Malheureusement pour son pays, il lui fut impossible de remplir un mandat si honorable : quelques mois après sa nomination, les cortès constituantes de 1837 enlevaient le droit de représentation directe à Cuba. Vainement, à deux reprises, en 1837 et 1838, dans deux écrits chaleureux qui ont pour titre : Examen des idées de la commission de réforme et Parallèle entre les colonies espagnoles et certaines colonies anglaises, M. Saco plaida-t-il la cause de ses compatriotes ; cette interdiction des droits politiques, dont Cuba s’est vu frapper en 1837, a été jusqu’ici maintenue par toutes les cortès.

Aujourd’hui cependant le gouvernement de la métropole est contraint d’adopter lui-même, au sujet de la traite des nègres, les idées généreuses dont M. Saco s’est, il y a dix ans, porté le champion. Et, en vérité, il était temps : l’île de Cuba se trouve dans la situation la plus périlleuse ; l’autorité de l’Espagne, la suprématie de la race blanche, la civilisation européenne, y sont plus que jamais compromises ;

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1841.