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soutenue par la conscience publique, ne verrait pas se réaliser enfin, dans un délai presque inévitable, les solennelles promesses de 1813 ?

Ce mouvement constitutionnel, qui commence à se dégager en Prusse, a surtout deux obstacles à redouter parmi les esprits libéraux, le scepticisme des uns, l’hostilité déclarée des autres. Au moment des transformations sociales, il n’est pas rare de rencontrer des hommes de cœur qui doutent de l’esprit nouveau et des formes qui doivent le représenter. A ce scepticisme, à ce découragement précoce, ajoutez les jalousies nationales qu’il est si facile d’envenimer au-delà du Rhin, et dont les gouvernemens profitent avec une très habile diplomatie ; faudra-t-il ressembler à l’Angleterre ? à la France surtout ? Ne doit-on pas craindre l’influence de nos idées ? Voudra-t-on copier, imiter ? A ce seul mot, l’orgueil s’irrite, et cet enthousiasme cosmopolite, qui a été long-temps la gloire de l’esprit allemand, fait place aux mesquines rancunes, aux préoccupations étroites. Ce mal existe, il disparaîtra devant le bon sens public, il s’efface déjà, mais il existe. Ce n’est pas tout : il y a des ennemis plus redoutables. Ceux dont je viens de parler doutent, s’inquiètent, s’interrogent et n’osent avancer ; ceux-ci, au contraire, attaquent décidément et rejettent tous ces essais qu’il faudrait encourager et soutenir. Dans un pays où l’esprit libéral cherche à se discipliner pour vaincre, je sais des écrivains qui se sont donné pour mission de railler ce parti à mesure qu’il se forme et de le mettre en déroute. Vous les croiriez inspirés par le pouvoir, tant ils servent bien sa politique, et ce sont ses plus violens ennemis. J’ai sous les yeux plusieurs brochures publiées l’année dernière par M. Edgar Bauer sous ce titre : les Tendances libérales en Allemagne (Die liberalen Bestrebungen in Deutschland). L’oreille attentive au moindre bruit de liberté, l’auteur s’en va de pays en pays, suivant ces mouvemens partout où ils éclatent. Aujourd’hui le voilà en Prusse, dans les provinces de l’est, en Silésie ou à Koenigsberg ; hier, c’était dans le duché de Bade ; demain, il ira sur le Rhin, à Cologne ou à Dusseldorf. Qui le pousse ainsi ? Que porte-t-il avec lui ? Quel drapeau ? quelle propagande ? Vous pensez qu’il étudie ces sentimens nouveaux qui se déclarent, qu’il veut les nourrir, les fortifier, entretenir enfin l’esprit public encore si incertain, si irrésolu. Non, il fera précisément le contraire. M. Jacoby publie à Koenigsberg sa courageuse brochure des Quatre questions. Il résume avec force les griefs de l’opinion ; ce manifeste ranime les esprits en leur montrant un but direct, une espérance permise. Le livre est saisi ; l’auteur, mis en jugement, est condamné d’abord, puis acquitté ; enfin, l’opinion a été