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éclatantes ; il faut à ce peintre hardi une toile où sa main puisse appuyer sans scrupule. La légèreté qu’il affecte l’a entraîné, comme on voit, dans bien des erreurs : une des plus graves est le détestable couplet qui termine son livre ; finir par un calembour, après tant de beaux vers ! Décidément, M. Hoffmann de Fallersleben persécute M. Freiligrath. Pour oublier ces maladroites contrefaçons, je relis avec plus de plaisir de courtes pièces que j’ai oublié de signaler dans cette rapide analyse du livre, et qui, sans appartenir à la série de ses ballades plus importantes, se détachent tout-à-fait des pièces fâcheuses que je viens de blâmer. Ce sont de rapides chansons, des strophes animées, provoquantes, fièrement et légèrement enlevées. L’auteur conserve l’inspiration sérieuse qui est la sienne ; il ne s’abaisse pas à une gaieté de mauvais aloi, et pourtant ces vifs refrains sont une diversion habile aux inspirations plus fortes, plus vigoureuses. C’était là le délassement qu’il devait chercher après les hymnes et les ballades. Je signalerai les strophes charmantes intitulées : Musique de guerre. La jeune femme du poète est assise à son piano, et celui-ci lui demande un air de bataille ; alors cette musique aux fiers accens, sa femme chérie qui s’associe de la sorte aux plus hardis sentimens de sa muse, sa petite maison qui retentit de ces notes belliqueuses, tout lui remplit l’ame de joie et de courage. La pièce intitulée Inondation exprime aussi une intrépidité charmante, et comme un défi jeté aux élémens. Celle où l’Angleterre s’adresse à l’Allemagne n’est ni moins vive ni moins éloquente. Une autre petite chanson, En Dépit de tout, est un vrai chef-d’œuvre d’entrain, de bonne humeur et de cordiale allégresse ; c’est la chanson du brave homme. Le poète chante le brave homme, l’homme pauvre, l’homme de rien, comme Béranger a chanté les gueux. En dépit de tout, le brave homme est heureux ; point de places, il est vrai, point de rubans ; qu’importe ? c’est un brave homme. Est-ce là un titre si commun ? Vive l’aristocratie des braves gens ! Ces idées ne sont rien ; ce qui est plein de grace, c’est le mouvement du style, le rhythme vif et alerte, la rapidité électrique d’un sentiment naïf et allègrement exprimé. Voilà les strophes que j’ai relues pour effacer l’impression désagréable des facéties de l’auteur ; mais surtout je relirai ces nobles hymnes, ces ballades généreusement inspirées, ces douloureuses élégies, où le poète a consacré quelques-unes des idées fécondes qui doivent guider l’opposition constitutionnelle en Prusse. Ce sont là les vrais titres de M. Freiligrath ; c’est par ces beaux vers qu’il a mérité tant d’éloges et tant de blâmes, tant de sympathies empressées et tant de récriminations