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cette reine découronnée. Or, puisqu’il a exprimé de tels sentimens, comment a-t-il pensé qu’on accepterait les cruelles invectives auxquelles il s’abandonne un peu plus loin ? Si ce n’était qu’une peinture légèrement railleuse, tout le monde y sourirait ; mais le poète a souvent la main lourde, et il fait intervenir, on ne sait trop pourquoi, l’ombre de Voltaire, qui dit grossièrement à M. Tieck : « Nous rions tous deux, mon bon ami, mais je suis le maître, tu n’es qu’un bouffon. » On conviendra que de tels vers doivent arrêter brusquement le lecteur le mieux disposé. Au moment où M. Freiligrath, l’année dernière, attaquait si durement ses anciens maîtres, le Chat botté de M. Tieck était joué à Berlin, et obtenait un prodigieux succès. Le roi avait eu le désir de voir représenter une des œuvres favorites du spirituel humoriste. Shakspeare et Aristophane venaient d’être traduits sur la scène avec beaucoup d’éclat ; il fallait aussi évoquer pour ces solennités studieuses ces ingénieux petits drames de M. Tieck, qui doivent tant aux comédies d’Aristophane et aux fantaisies de Shakspeare. On alla donc chercher le Chat botté dans le magasin un peu suranné de l’école romantique, et il fut amené sans trop de péril à la clarté de la plus vive lumière entre les Guêpes et le Songe d’une nuit d’été, entre les bouffonneries de Philocléon et les féeries poétiques de Titania. Heureux loisirs de ces soirées brillantes ! le public de Berlin se laissa charmer sans peine, et nul ne songea à chicaner l’aimable vieillard dont les gracieuses inventions reparaissaient, après cinquante ans, pour recevoir un dernier et universel hommage. Il y avait bien çà et là quelques esprits assez clairvoyans qui se demandaient pourquoi on affectait d’honorer si exclusivement les poètes du passé, d’où venait qu’on organisait une telle réaction, et s’il était bien convenable de faire servir à ce but les noms les plus aimés ou les plus vénérés de l’Allemagne ; mais M. Tieck n’était pas responsable de cette politique, et on se serait bien gardé de s’en venger sur le spirituel écrivain. Pourquoi donc M. Freiligrath n’a-t-il pas fait de même ? Lorsque, dans son amusante mascarade, il fait paraître le chœur des mécontens qui jette plaisamment de mélancoliques réflexions au milieu de la fête du chat botté, sa raillerie est spirituelle et polie ; mais, s’il insiste, s’il frappe au lieu de sourire, s’il fait insulter M. Tieck par l’ombre de Voltaire, il nous montre encore une fois combien cette escrime légère convient peu à sa plume, il commet une de ces fautes que le goût offensé ne pardonne pas.

Le meilleur conseil qu’on puisse donner à M. Freiligrath, c’est de renoncer à l’ironie. Il faut à sa muse les sujets sérieux, les couleurs