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rappeler ?) ce ne sont pas les caprices, les finesses, les ruses de l’ironie qui sont la vocation de sa muse. L’élégant persiflage de M. Henri Heine lui est interdit. Il est vrai que ce n’est pas toujours M. Henri Heine qu’il voudrait contrefaire ; il imite bien plus souvent la bonhomie joyeuse de M. Hoffmann de Fallersleben, et il est tout aussi malheureux avec l’un qu’avec l’autre. La gaieté bruyante ne lui réussit pas mieux que la raillerie légère. C’est tantôt une joie beaucoup trop naïve, tantôt une plaisanterie guindée et fausse. Par quel commentaire excuser cette incroyable épître que M. Freiligrath adresse à M. Hoffmann de Fallersleben ? Est-il possible d’aller se perdre avec plus d’intrépidité dans toutes les erreurs du mauvais goût ? Est-il possible de compromettre plus résolument les bonnes inspirations qu’on a rencontrées la veille ? M. Freiligrath avait écrit une préface, un peu raide, mais suffisamment digne, pour nous expliquer sa conduite et son passage dans les rangs des whigs ; ce drapeau auquel il s’était rallié, il l’avait tenu lui-même d’une main ferme dans plusieurs ballades politiques, dans plusieurs hymnes de son recueil, et maintenant il va détruire l’excellente impression qu’il a produite, en nous racontant, sur un air de vaudeville, quoi donc ? sa conversion opérée, le verre à la main, par M. Hoffmann de Fallersleben ! Les deux poètes se sont rencontrés à Coblentz, et les voici attablés à l’hôtel du Géant. Il est tard, la nuit est avancée, mais la joie, les vives causeries, et le vin surtout, prolongent la veillée bruyante. Quelle soirée ! quel instant décisif et solennel ! Entre deux bouteilles de champagne, le poète assiégé s’est rendu à discrétion. Le voilà converti à la foi nouvelle. L’éclatante lumière qui renversa saint Paul sur le chemin de Damas est remplacée ici par les calembours du poète de Breslau, lesquels, dit M. Freiligrath, brillaient comme des éclairs. L’illumination ne s’est point faite sur un Sinaï foudroyé, sur un éblouissant Thabor ; mais la fumée pourtant n’y manque pas, et cette nuit profonde, ces lampes qui s’éteignent en charbonnant, cette orgie à deux dans les salles désertes de l’hôtel du Géant, tout cela paraît à l’auteur un cadre suffisamment poétique et mystérieux pour y consacrer à jamais le souvenir de sa conversion. C’est M. Freiligrath lui-même qui nous donne fort au long ces édifians détails et bien d’autres encore. Si un adversaire du poète avait publié contre lui cette satire burlesque, je pourrais comprendre, tout en la blâmant, l’intention qui aurait conduit sa plume ; mais quand c’est M. Freiligrath qui parle de cette façon et qui affronte si follement le ridicule, en vérité que faut-il penser ? que faut-il dire ? Il faut montrer pour sa dignité plus de souci qu’il n’en a