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législation coupable. Qu’il chante donc le droit commun ; que lui et tous ses amis, poètes et publicistes, éveillent le sentiment du juste dans l’ame des nations allemandes ; qu’ils signalent partout les traces de la vieille iniquité féodale ; que l’idée du droit enfin apparaisse, et que la liberté l’accompagne !

Il y a beaucoup de grace et de fraîcheur dans l’hymne consacré à l’arbre de l’humanité, à cet arbre puissant où tant de fleurs, l’une après l’autre, ouvrent au soleil leurs belles corolles. Le poète attend avec impatience l’instant béni où la fleur d’Allemagne embellira aussi l’arbre immortel. Chacun des peuples de la terre, chacune de ces fleurs sacrées s’est épanouie à son heure ; l’esprit du monde, comme un souffle printanier, mûrissait la sève dans la tige, et à la lumière féconde de la liberté elles s’ouvraient enfin pour prodiguer leurs trésors. Mais, hélas ! combien de fleurs attendent encore aujourd’hui ce rayon divin ! La sève monte, le bourgeon tremble, la fleur s’agite sous son enveloppe ; quand luira le soleil qui doit briser ses liens ? Ici le chant du poète s’élève à Dieu comme une prière ; l’espérance adoucit sa plainte ; c’est l’hymne du laboureur dans une matinée de printemps. Et devançant la bénédiction qu’il appelle, il décrit déjà, comme s’il la voyait, cette fleur nouvelle, cette fleur merveilleuse, qui s’épanouira bientôt sur l’arbre de vie.

La muse de M. Freiligrath n’a pas toujours cette calme sérénité ; il y a place çà et là dans ses vers pour des tableaux effrayans et des cris de vengeance. La scène intitulée : Dans une Maison de Fous (Im Irrenhausse), est une invention assez vigoureuse, un peu exagérée pourtant, un peu emphatique, et qui devra sembler telle, si je ne me trompe, même en un pays où la censure soulève tant de légitimes haines. C’est le censeur, en effet, que le poète fait comparaître à son tribunal, et la situation où il le place, les crimes dont il le charge, l’effroyable châtiment qu’il lui inflige, fournissent à sa plume l’occasion d’une peinture sombre et lugubre. Le censeur, celui qui flétrissait la pensée, celui qui avait reçu charge de mutiler les manifestations de l’esprit, le censeur est devenu fou. Des images terribles courent devant ses yeux ; tout ce qu’il a outragé, tout ce qu’il a voulu anéantir, la vérité, la liberté, la justice, l’entourent comme des fantômes irrités, et viennent se venger de lui. Ce ne sont pas les furies de l’antiquité, ce sont les messagers de la société moderne, les anges de la loi nouvelle, qui viennent le frapper au visage avec leurs épées flamboyantes. Il y a là beaucoup de vivacité, d’énergie, de colère, et tout un appareil singulièrement dramatique. Quand le poète regarde dans