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où il affronte les dangers de la vie active, il est regrettable qu’il s’associe à une opinion illibérale, et qu’il combatte, au lieu de les éclairer et de les anoblir, les mouvemens sérieux, les développemens légitimes de la pensée publique. On lui pardonnerait plus volontiers les témérités et les folles aventures. M. Freiligrath dut le sentir bien vivement quand il commença à voir clair dans ces questions si nouvelles pour lui. Malgré le costume officiel qu’il avait accepté, sans trop y songer, sa pensée, au fond, était libérale. S’il avait pu se consulter lui-même, s’il avait eu le temps d’interroger sa conscience avant d’engager sa parole, il n’y a point de doute qu’il n’eût chanté la liberté et les droits de l’Allemagne. On vient de voir comment il avait été peu à peu séduit et enveloppé. « Pauvre poète ! s’écriait un critique allemand quelques semaines seulement avant la conversion inattendue de M. Freiligrath, pauvre poète ! le voilà affublé, bien malgré lui, d’un uniforme, et obligé de faire bonne mine à mauvais jeu ! Comment il s’en tirera ? c’est ce qui le regarde. Tous ses vers, ses chasses de lions, ses émirs dans le désert, son hymne à Diégo Léon, sa lettre à M. Herwegh, et ses propres chants de liberté, comment fera-t-il pour les soumettre à cette même étiquette qu’on lui impose, malgré qu’il en ait ? Ce n’est pas là un médiocre embarras. » Il n’y avait qu’un moyen pour M. Freiligrath de sortir, par un coup décisif, de toutes ces déplorables incertitudes : c’était de déclarer enfin son erreur et de rompre dignement, sans colère, avec le parti qui avait compromis sa muse. Les lignes que je viens de citer étaient insérées dans un recueil littéraire (Blaetter für literarische Unterhaltung), le 17 septembre 1844. Quinze jours après, au commencement du mois d’octobre, M. Freiligrath publiait sa Profession de foi, et il ouvrait son volume par cette épigraphe d’une lettre de Chamisso, qui résume avec vérité la situation de son esprit : « Je ne suis point passé des tories aux whigs, mais, dès que j’eus ouvert les yeux sur moi, je m’aperçus que j’étais whig. »

La Profession de foi de M. Freiligrath est intéressante par sa franchise. L’auteur n’a pas cherché à dissimuler les vers qu’il a écrits depuis deux ans sous une tout autre inspiration ; il les reproduit bravement à côté des hymnes où s’éveille enfin sa pensée frémissante. Il y a deux hommes dans ce livre, le whig d’aujourd’hui et le tory de la veille, ou plutôt, pour parler comme le poète, ce whig endormi qui s’ignorait lui-même. Ces manifestes de poésie officielle ne sont pas, après tout, aussi compromettans qu’on pourrait le craindre ; excepté sa dure invective contre M. Herwegh, je ne trouve rien dans cette première partie dont un poète libéral doive se repentir très vivement.