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« Ah ! fier dictateur, comme ton sceptre s’est vite brisé ! L’agitateur n’est plus ; que reste-t-il ? Un Souabe. Quoi ! ta fleur est déjà flétrie ! Ta couronne, pauvre ami, pend déjà de travers sur ton oreille ! C’est toi-même qui as écrit pour ta gloire la lettre perfide qui l’a tuée.

« Maintenant, philistins et envieux peuvent mettre la main sur toi. « Voilà, voilà le vivant ! il s’est frappé de mort ! » Ah ! celui que pare le vêtement de la célébrité doit le garder avec soin, comme une neige sans tache. Tu l’as trop prouvé : c’est la gloriole qui flétrit la gloire.

« Si quelqu’un se dit le défenseur de nos libertés, que ce soit un soldat éprouvé déjà, et qu’il prenne garde, au lieu de la chose publique, de ne nous donner jamais que son moi. Quand la lutte est sérieuse, quand on brise des lances pour la cause de tous, qu’il n’aille point, ce glorieux, prendre en main la lance de l’orgueil.

« Celui qu’on a accueilli comme toi avec la coupe de l’honneur, comment a-t-il pu y trouver la folie au moment où tout un peuple buvait à sa santé ? O honte ! tomber dans l’ivresse, la bouteille à la main ! et bégayer, au milieu des fumées du vin, les malédictions du ridicule !

« Ce fut là ton sort ! — Le héros peut tomber avec honneur dans le bruit de la bataille. Autrefois et aujourd’hui, bien des citoyens sont partis pour l’exil ; mais autour d’eux, dans la foule, point de cris, point de reproches ; leur étoile s’éteignait au ciel, noblement et sans se flétrir.

« Si la corde liait leurs mains, la liberté leur tendait les siennes. Le regard sombre de leurs amis ressemblait au feu de la torche qui va mourir. Les fronts étaient chargés d’orages ; les murmures s’échappaient sous les visières baissées ; la colère mal contenue grondait. Ah ! s’il en était de même avec toi !

Toi ! c’est un bruit sourd, à peine saisissable, qui te suit, comme il suit le stupide faucheur. Quel bruit ! le tremblement de la végétation sur le jeune arbre de la liberté, le bruit des feuilles et des fleurs qui le paraient si gracieusement, et que ta faulx, grand Dieu ! a brisées presque toutes d’un seul coup !

« Ainsi tu vas ! — Ce que j’ai dit sonnera durement peut-être à tes oreilles ; mais celui qui a injurié Arndt a mérité le même traitement. Tu disais que le vieux géant était trop vieux pour nos luttes ; tu n’as prouvé qu’une seule chose, c’est que tu es trop jeune.

« Adieu donc ! — mais que ce soit pour revenir cependant ! La liberté peut pardonner ! Rapporte-nous ton ancien honneur, rapporte-nous-le avec des chants ! Fais flotter deux fois les étendards éclatans de la poésie ! O poète, répare ta défaite ! Pauvre Souabe, fais oublier tes sottises ! »


Sans doute, les conseils que donne ici M. Freiligrath, les reproches qu’il lance si vivement, vont presque tous et parfaitement à leur adresse ; mais ce n’était pas à lui peut-être qu’il appartenait de s’exprimer ainsi. Le dirai-je ? il semble que l’auteur s’efforce de se donner le change à lui-même ; on voit trop qu’il sent le besoin de se faire illusion ; il voudrait