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les désirs, à détourner les exigences de l’Allemagne entière. Qu’il accepte donc pour son pays cette reconnaissance qui l’importune ; qu’il s’habitue peu à peu à des pétitions si glorieuses, et qu’il prête l’oreille chaque jour à ce nouveau cri, à cette protestation nouvelle qui, d’heure en heure, monte vers le trône.

Il y a trois ans à peine, c’était M. George Herwegh qui interpellait le gouvernement de Berlin, et le sommait de donner à l’Allemagne les libertés promises ; l’année dernière, on entendit les nobles plaintes de M. Anastasius Grün ; hier, ce fut le tour de M. Henri Heine et de ses spirituelles moqueries. Toutes ces lyres si différemment inspirées, toutes ces voix irritées, harmonieuses, ironiques, s’unissent en un crescendo qui commence à devenir sérieux. Remarquez en outre que les poètes dont je viens de parler ne sont pas les enfans de la Prusse ; M. Henri Heine est né à Hambourg, M. Herwegh est Souabe, M. Anastasius Grün est un gentilhomme autrichien. Ainsi, de tous les points de l’Allemagne, du nord et du sud, de Hambourg, de Stuttgard et de Vienne, un même cri monte vers Berlin. Jusqu’à présent, le résultat le plus net de ces pétitions a été de former, au sein même de la Prusse, un parti, encore faible et irrésolu, je le sais, mais qui existe pourtant, et qui cherche peu à peu à se constituer. L’opposition libérale ne devait pas assister à ces bruyans efforts sans comprendre le rôle qui lui est tracé. Le gouvernement peut bien rester sourd à toutes les sommations ; mais la Prusse elle-même abdiquerait, si elle ne prenait une part active au développement de l’esprit moderne. Ce travail intérieur du parti constitutionnel en Prusse vient d’être mis en lumière par un livre qui a vivement ému l’Allemagne. L’écrivain qui l’a publié, le poète qui a jeté brusquement ses beaux vers au milieu des luttes politiques, ne sort pas, comme ses devanciers, de l’Allemagne du midi ou des villes libres du nord ; c’est un Prussien, et son livre est l’expression même de ce parti nouveau, de ce parti constitutionnel que je signalais tout à l’heure. Je ne m’étonne pas que ce manifeste ait été salué par un succès si bruyant ; avec ses qualités et ses défauts, il a eu cette singulière bonne fortune de représenter à merveille l’état de l’opinion publique, ce qu’elle ose et ce qu’elle redoute, son audace et son indécision, ses efforts et ses faiblesses. Ce n’est pas tout : une circonstance particulière augmentait l’importance de cette publication. Le poète, la veille encore, était un ami assez fidèle, et presque un défenseur avoué, on le croyait du moins, de cette politique qu’il combat aujourd’hui. D’où venait donc qu’il avait saisi si résolument ce nouveau drapeau ? Ou bien, si c’était hier un indifférent, un artiste