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et à se demander où tout cela s’arrêterait. Ce fut bien pis lorsqu’il fallut soutenir un long siège et supporter des privations d’autant plus affreuses qu’on y était moins préparé. Les gens du peuple, appuyés aux piliers des églises, la face blême et le front intrépide, prenaient patience en écoutant leurs orateurs chéris, et en accueillant, au milieu des tortures de la faim, les plus folles illusions aussi bien que les plus vaines espérances ; mais les gens de robe et de finance, les hommes de lettres et de loisir ne se mettaient pas aussi facilement au régime de cette viande creuse, et s’épuisaient en efforts persévérans pour faire baisser le thermomètre de l’opinion publique. Il est curieux, durant la tenue des états de Paris, de suivre les progrès de cette lutte engagée par les intérêts contre les passions, et de constater jour par jour les conquêtes que ceux-là font sur celles-ci. Au milieu de cette lassitude et de ce découragement inséparable des longs efforts parurent ces nombreux pamphlets et ces mordantes satires des politiques, œuvres élégantes et froides, dont l’à-propos fit le succès, parce qu’elles opposaient à point nommé à l’entraînement populaire les prosaïques réalités d’une vie de souffrances et de privations.

« Oh ! que nous eussions esté heureux si nous eussions esté pris dès le lendemain que nous fusmes assiégez ! Oh ! que nous serions maintenant riches, si nous eussions faict cette perte ! Mais nous avons brûlé à petit feu, nous avons languy, et si ne sommes pas guaris. Nous avions de l’argent pour racheter nos meubles, et depuis nous avons mangé nos meubles et notre argent. Si le soldat eût forcé quelques femmes et filles, encore eût-il épargné les plus notables ; mais depuis elles se sont mises au bordeau d’elles-mesmes et y sont encore par la force de la nécessité qui est plus violente et de plus longue infamie que la force transitoire du soldat, au lieu que celle-ci se divulgue, se continue et se rend à la fin en coustume affrontée sans retour. Nos reliques seraient entières, les anciens joyaulx de la couronne de nos rois ne seroient pas fonduz comme ils sont. Nos faux bourgs seroyent en leur estre et habitez comme ils estoyent, au lieu qu’ils sont ruinés, défects et abatuz. Nos rentes de l’Hôtel-de-Ville nous seroient payées, nos fermes des champs seroient labourées, et en recevrions le revenu au lieu qu’elles sont abandonnées, désertes et en friche. Nous n’aurions pas veu mourir cinquante mille personnes de faim, qui sont mortes en trois mois espar les rues et dans les hôpitaux, sans miséricorde et sans secours. Nous verrions encore notre Université florissante et fréquentée, au lieu qu’elle est déserte et solitaire, ne servant plus qu’aux paysans et aux vachés des villages voisins ; nous verrions