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du 2 août 1589, la garde écossaise fléchit le genou devant un nouveau maître, et les rudes compagnons du Béarnais le saluèrent roi de France, près du corps de son prédécesseur assassiné.

Quel début dans la royauté, et quelle perspective sanglante ! A Saint-Cloud, des larmes, des soupçons, des regards méfians et sinistres ; à paris, des cris de joie et des hurlemens de triomphe. Le fanatisme qui semblait planer sur ce vaste horizon et l’envelopper de toutes parts reculerait-il après un premier succès, et n’allait-il pas recommencer contre un roi excommunié ce qu’il venait d’exécuter contre un roi catholique ? Cette armée, formée à si grand’ peine par la jonction des deux princes, n’allait-elle pas se dissoudre sitôt qu’un droit incontesté cesserait d’en rallier les élémens divers ? Que feraient les catholiques si le nouveau roi persistait dans sa croyance, que feraient les protestans s’il se déclarait disposé à l’abandonner ? En donnant aux premiers la satisfaction qu’ils réclamaient, était-il assuré de gagner leur confiance tant que Rome persisterait à ne pas l’absoudre, et ne s’exposerait-il pas à perdre des fidélités éprouvées pour courir après des dévouemens incertains ? Serait-il jamais sérieusement adopté par la France catholique, et que pouvait-il attendre de l’Europe protestante après une abjuration qu’un éclatant succès ne ferait pas même pardonner ? Fallait-il retourner dans ses montagnes, comme le lui conseillaient quelques-uns, se retirer pour un temps près de la reine Élisabeth, comme le voulaient d’autres, ou bien fallait-il rester en roi devant sa capitale, et recevoir, à défaut de l’onction sainte, le sacre glorieux des batailles ? Mais comment faire la guerre sans argent, comment résister à l’or de l’Espagne, aux menaces pontificales et au sentiment public universellement soulevé ? comment tenir la campagne contre l’armée chaque jour grossie du duc de Mayenne, avec des troupes étrangères les unes aux autres et qui se débandaient d’heure en heure ?

Déjà le duc d’Épernon avait déserté le camp royal, emmenant dans les provinces dont il avait le gouvernement plusieurs milliers des meilleurs soldats de l’armée. Beaucoup de gentilshommes catholiques avaient suivi cet exemple, un plus grand nombre se disposaient à l’imiter. Parmi ceux qui continuaient à servir le nouveau roi, la plupart ne le faisaient qu’avec hésitation et froideur, sans attachement pour sa personne, et sous la déclaration formelle qu’il n’y avait pas à compter sur eux au-delà du terme de quelques mois réclamé par Henri pour réfléchir à ses devoirs de roi et de chrétien. Les seigneurs les plus qualifiés du royaume, le duc de Montpensier, le duc de Longueville, le duc de Nevers, le duc de Luxembourg, appartenaient à cette catégorie,