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pu se passer de la faire. C’est pour cela qu’il retranche encore cette autre lettre tout aussi significative :


« Depuis que je suis ici, j’ai vu un agent de la Perse pénétrer jusqu’à Kandahar, s’annoncer avec les promesses les plus séduisantes, et obligé pourtant de quitter tout aussitôt le pays, parce que personne n’était allé le prier de venir à Kaboul. Après lui, ce fut un agent russe, qui, porteur de complimens magnifiques et d’engagemens très solides, ne reçut pour tout accueil que les stricts égards commandés par le droit des gens et de l’hospitalité. Le khan de Kaboul ne s’est pas même autorisé des offres qu’on lui faisait pour traiter de plus haut avec nous ; il a dit que ses intérêts étaient attachés à l’alliance anglaise, et qu’il ne l’abandonnerait pas tant qu’il lui resterait le moindre espoir de la conserver. »


Cette lettre était du 15 janvier 1835 ; elle était écrite par Burnes au milieu de la négociation qu’il suivait pour opérer un rapprochement entre les Afghans et les Sykhs. Il s’en fallait que cette besogne fût aisée : Dost-Mohammed ne pouvait se rassurer en songeant à l’amitié des Anglais et de Runjet-Singh, son implacable ennemi, l’usurpateur de Peschawer, le spoliateur des Afghans ; d’autre part, le contrôle exercé par les Russes sur le commerce du Turkestan, leur alliance avec les Persans hérétiques, son horreur et celle de sort peuple pour ces Shiites maudits, le laissaient tout aussi alarmé de ce côté-là. Il en revenait donc sans cesse à prier M. Burnes qu’on le protégeât à la fois et contre les Sykhs et contre la Perse ; il suppliait qu’on lui rendît Peschawer, son seul boulevard, et que l’on ne permît pas au shah d’exécuter à l’amiable sur Kandahar les projets de conquête qu’il ne pouvait accomplir par force sur Hérat. C’était en d’autres termes, engager l’Angleterre à revenir aux voies naturelles de la politique indienne, à maintenir l’indépendance afghane envers et contre tous, au lieu de s’unir aux Sykhs pour l’attaquer d’un côté, pendant que les Russes la minaient de l’autre. Mohammed ajoutait encore que si l’on voulait désunir les chefs afghans et détruire entre eux toute hiérarchie, il savait bien qu’on ne pouvait y mieux réussir qu’en l’affaiblissant lui-même ; restait à connaître si l’Angleterre y trouverait un grand avantage, et si ç’avait été son intention de le ruiner tout-à-fait en lui offrant ses sympathies.

La réponse ne tarda pas ; on lui fit signifier un ultimatum aussitôt qu’on connut la présence de Vicovitch, un ultimatum inflexible et désastreux. Le gouvernement indien ne voulait se mêler ni de Kandahar ni de Peschawer, ni s’exposer au mécontentement des Russes, ni se