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maintenaient à son détriment les frayeurs du cabinet whig. M. M’Neill, resté seul contre la Russie et la Perse, va suivre désormais ses propres inspirations, chercher des secours ailleurs que dans le ministère, redoubler d’énergie vis-à-vis du shah, et, par l’inflexible rigueur des mesures auxquelles le condamne la timidité de son gouvernement, précipiter de plus en plus la Perse aux bras de la Russie qu’on n’a pas osé fermer en temps utile.

M. M’Neill, d’après ses instructions, d’après toutes les recommandations de lord Palmerston, ne devait point intervenir, au nom de l’Angleterre, entre la Perse et l’Afghanistan ; il s’était à grand’peine abstenu (lettre du 24 février 1837). Tout d’un coup il se décide ; le gouvernement de l’Inde, menacé de plus près par le progrès des Russes, se hasardait à prendre l’initiative, et donnait au ministre anglais en Perse les instructions que le cabinet anglais lui refusait. M. M’Neill écrit le 30 juin 1837 :


« J’ai été chargé par le gouvernement indien de dissuader le shah d’entreprendre une autre expédition contre Hérat. Je vous ai donné à penser, dans ma dépêche du 24 février, que cette guerre me paraissait une juste guerre, et je m’étais demandé s’il était à propos de l’interrompre par des menaces ; mais maintenant le gouvernement d’Hérat offre des conditions si avantageuses, que je suis convaincu que la Perse ne saurait gagner davantage en force et en sécurité par la conquête de la place : de ce moment donc il me semble que la guerre même est devenue fort injuste. L’esprit du traité de 1814 est en effet que l’Angleterre assurera la paix entre la Perse et l’Afghanistan, et non point la conquête de celui-ci par celle-là. »


C’était une interprétation toute contraire à celle que supposaient les instructions de juin 1836 ; c’était une intervention directe et active mise à la place d’une neutralité indifférente, c’était faire ce qu’avait demandé M. Ellis, menacer la Perse d’un côté pour l’empêcher de céder aux menaces de l’autre. « Je ne vois pas, écrivait M. M’Neill le 4 juillet, pourquoi nous cacherions à la Perse que la nécessité de pourvoir à notre propre sûreté nous oblige à réclamer d’elle qu’elle s’abstienne d’attaquer nos remparts et d’affaiblir notre position. »

Mais il eût fallu, pour le succès de cette nouvelle conduite, que le ministre anglais parlât au nom de son cabinet ; il ne parlait encore qu’au nom du gouvernement de l’Inde, et la Perse n’était pas assez convaincue que l’effet suivrait : elle comptait trop bien sur cette alliance forcée qui enchaînait l’Angleterre aux œuvres de la Russie. Le 11 juillet 1837, après dix-neuf mois d’agressions déclarées, confiant dans l’impunité que lui méritait la protection du czar, le gouvernement