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rival ni des protestations assez fermes ni des démentis assez autorisés ; il ne réussit qu’à se tenir lui-même en échec ; il semble que ses instructions aient été dressées tout exprès pour se contrarier. On lui recommande bien haut d’agir de concert avec la Russie (5 septembre 1834) ; on l’invite à l’attaquer sourdement par des remontrances confidentielles (juillet 1835) ; il a charge de prémunir la Perse contre la guerre qu’on lui suggère (juillet 1835) ; il s’empresse de justifier cette guerre en droit, et se résigne à la tolérer en fait (janvier 1836). Ce sont deux partis pour un ; entre les deux, c’est à la Perse de choisir, sauf à la Russie de la conseiller tout de suite et à l’Angleterre de s’en fâcher après.

Il y a mieux : dans une dépêche du 1 février, M. Ellis rapporte en toute humilité qu’il a lui-même essayé de convertir le prince d’Hérat au respect de la domination persane ; il lui a écrit de manière à faire partout supposer que le shah marchait contre lui d’accord avec l’Angleterre. Il y a mieux encore : il n’a pu obtenir qu’on lui permît d’envoyer sa lettre par un officier de sa mission, et l’on n’a consenti à la laisser passer qu’à la condition qu’elle fut dépêchée par les autorités persanes, ou, pour tout dire, soumise au contrôle russe. C’est en servant ainsi malgré soi une politique dont on n’ignore pas le caractère hostile et la direction menaçante ; c’est en acceptant les affronts qu’elle jette par force à ces amis suspects qui n’osent point s’avouer ses ennemis ; c’est en se réduisant à dissimuler si long-temps de justes prétentions et de justes ressentimens, qu’on se réveille enfin tout à coup face à face avec l’étroite nécessité d’une rupture désormais sans remède.


« La Perse, s’écrie alors M. Ellis, la Perse n’est plus dorénavant une barrière qui couvre l’Inde ; c’est la première parallèle d’où l’on donnera l’assaut. »


Eût-il donc été tout-à-fait impossible de prévenir une si dure extrémité ? Cet entraînement de la Perse était-il si déterminé qu’on ne pût l’arrêter à temps en frappant où il fallait ? Ce fut précisément ce courage-là qui manqua. On s’en prit à la Perse d’une ardeur de conquêtes dont elle ne pouvait mais ; on feignit de ne peint apercevoir derrière elle le bras de la Russie, qui la poussait à force ouverte dans cette voie scabreuse, au bout de laquelle il y avait la guerre avec l’Angleterre. Cette insistance acharnée de la Russie, cette irrésolution de la Perse jusque sous le coup des obsessions d’une si dangereuse alliée, ces deux points sont trop manifestes pour qu’on puisse les méconnaître