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comment, il y a six ans, elle perdit elle-même celui qu’elle jouait alors contre la Russie. C’est un spectacle de circonstance, et la pièce comporte plus d’une leçon à laquelle on ne s’attendrait pas. Nous espérons qu’au milieu des anxiétés de l’heure présente, ceux qui désirent en conscience se tirer d’embarras ne fermeront pas les yeux à la lumière qui peut ici leur venir du passé.

Parmi les esprits politiques sincèrement tourmentés des difficultés du moment, il en est qui, voyant dans l’Angleterre le grand ennemi du monde, ne cherchent qu’à susciter contre elle toutes les inimitiés de la France. A ceux-là d’abord il est utile de redire comment la Russie fait son chemin, par où elle passe et où elle va. Il en est d’autres qui, troublés plus que de raison à la seule idée de la puissance anglaise, inclinent trop volontiers à lui céder plus que de droit, et semblent mettre enchère sur enchère afin de se mieux garder cette précieuse amitié. Pour ceux-ci, leur premier devoir, c’est d’apprendre comment les exigences de l’Angleterre savent toujours, en temps utile, se proportionner à la fermeté qu’on leur oppose, et reculer ou s’effacer devant les dangers qu’elles provoqueraient. Admettez que cette vieille histoire d’il y a six ans ne soit qu’un apologue à l’usage de l’année courante : c’en sera là toute la morale ; ce sont deux points seulement, mais on estime qu’ils suffisent. Aussi ne chercherons-nous pas autre chose dans ces nombreuses dépêches, auxquelles nous allons tacher de donner plus de suite et de clarté que le gouvernement anglais n’a peut-être voulu leur en laisser en les publiant.

Ces négociations, que l’Angleterre ouvre en 1834 par des témoignages de confiance, et termine en 1838 par des assurances de satisfaction, n’en aboutissent pas moins très naturellement aux désastres de ses armées dans le Kaboul. Il semble qu’elle tienne à remercier les Russes du mal qu’ils lui font en lui imposant cette politique insensée par où elle se perd, car ce sont bien eux alors qui la dominent et la perdent. Elle aura beau prendre ensuite de sanglantes revanches aux mêmes lieux où l’Orient avait contemplé sa défaite, réparer des conquêtes manquées par de nouvelles conquêtes, attacher sur la poitrine de ses soldats victorieux l’effigie de la reine avec cette cruelle légende : Victoria vindex ; plus elle s’opiniâtre et s’efforce, plus avant elle se précipite dans cette voie fatale où le cabinet de Saint-Pétersbourg l’a, pendant quatre ans, si hardiment et si insidieusement poussée. Portés par envie ou par crainte de la Russie, ces grands coups sont moins funestes à ceux qu’ils atteignent qu’à ceux qui les frappent. La Russie ne s’y trompe pas et ne s’en effraie plus ; elle sait par expérience que