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si, à force de sagesse et de modération, on ne réussit pas à les calmer avant qu’un nouvel incident, une bagatelle peut-être, les mette aux prises.

Tous ces antagonistes irrités sont voisins. Fribourg, jésuitisé jusqu’aux os depuis que ses enfans sont élevés au séminaire, Fribourg sépare Berne du canton de Vaud : Berne, dont le gouvernement révolutionnaire et libéral peut à peine contenir derrière lui ses impétueux paysans ; le canton de Vaud, fort protestant aussi, quoique tolérant, fort éclairé sur les périls prochains, mais non moins, remué, et peu disposé à voir Lucerne introduire un pareil ennemi dans le cœur de la vie suisse. A ses côtés, le Valais fanatique, tout enrégimenté et prêt pour un coup de main populaire, tout fier encore de sa victoire du Trient, menace, au premier bruit, de franchir la frontière vaudoise, et là, de faire payer cher au district limitrophe l’aide et l’hospitalité accordée à ses vaincus. Au centre, Lucerne, séparé par son lac des petits cantons ses amis, est entouré par Berne et Argovie, c’est-à-dire par les plus énergiques ennemis des jésuites. Bâle-Ville avec Bâle-Campagne, les deux Appenzell, Genève, Saint-Gall, Zurich même et le canton des Grisons, qui votera comme ce dernier en diète, n’ont pas l’adversaire en dehors de la frontière, mais en dedans. Enfin, dans les cantons qui ont le plus d’unité, je ne mentionne pas des complications assez redoutables pour le cas où de grands chocs viendraient ébranler la majorité ou l’opinion dominante. Qu’on imagine, si on le peut, une situation plus laborieusement compliquée, plus périlleuse ! mais aussi qu’on se souvienne que la Suisse ne s’y trouve pas pour la première fois. Le corps le plus vigoureusement constitué a ses accidens et ses maladies ; toute la question pour lui est d’éviter un médecin assez maladroit pour tuer le malade pendant la crise.

La situation morale et générale commence à se traduire en faits. Lorsque le gouvernement lucernois eut constaté, par le vote du peuple, son droit d’appeler les révérends pères, il y eut de l’émotion et du trouble dans le pays. Le respectable curé de la ville, homme influent par sa piété et par ses lumières, fit alors accepter sa démission de membre du conseil de l’instruction publique, qu’il avait déjà précédemment offerte. Quelques autres symptômes moins pacifiques pouvaient faire présager de la résistance ; le gouvernement prit des demi-mesures, et l’insurrection éclata. Assez mal combinée, manquant de force et d’ensemble, elle réussit pourtant à intimider gravement le conseil d’état, qui fut sur le point d’abdiquer, tant il était peu sûr de sa position ; mais, celle des insurgés étant encore plus mauvaise, leurs bandes, à peine organisées, furent battues à une rencontre, et ensuite dispersées, poursuivies, prises ou chassées.

Alors, tout de bon, Lucerne se mit en état de ville assiégée par la révolte elle dépêcha partout pour avoir du secours, tint des conseils militaires avec Schwitz, Uri et Unterwalden, fit mettre leurs bataillons sur pied pour sa défense, et, de son côté, déploya toutes les forces armées dont elle pouvait disposer pour sa garde. Comme il est d’usage en cas pareils, on emprisonna