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adhésions fermes et empressées qu’il a rencontrées dans la discussion de l’adresse, ou du moins, s’il les rencontre, ce ne sera plus que dans le groupe des zelanti ministériels. Ceux-là ne l’abandonneront pas, et c’est bien juste, car ce sont eux qui l’ont conduit où il est.

Il ne faut pas se le dissimuler en effet : depuis 1840, il y a eu deux esprits et deux influences différentes qui ont donné tour à tour dans le ministère et dans la majorité. En 1840, l’esprit exclusif et intolérant qu’on appelait autrefois l’esprit doctrinaire était singulièrement amorti ; il semblait même avoir complètement disparu. A sa place régnait l’esprit conservateur, c’est-à-dire cet esprit habile et prudent qui n’avait pas hésité à transiger en 1839, qui s’était séparé des hommes pour sauver les principes, qui avait mieux aimé, et ce doit être là le rôle du parti conservateur, qui avait mieux aimé, disons-nous, être un pouvoir qu’un parti. C’était cet esprit conservateur qui adoptait avec habileté, avec sagesse, les inspirations de l’opinion publique sur le droit de visite et sur les affaires de Syrie. Aucune raideur fanatique, aucune intolérance, aucune exclusion ; une large et noble unité, point étroite, point mesquine. Malheureusement cet esprit s’est peu à peu affaibli ; la majorité qui autrefois savait se réunir et se concerter, non pas seulement pour soutenir le ministère, mais pour le contrôler, pour l’avertir, pour peser au besoin sur lui et pour le diriger, la majorité a abandonné le soin de ses affaires, elle a abdiqué entre les mains du cabinet ; alors a reparu l’esprit exclusif et intolérant. Le ministère n’a plus connu les sentimens et les dispositions de la majorité, et à travers la majorité les sentimens et les dispositions du pays. Il s’est renfermé dans le cercle étroit de ses adorateurs ; il a remplacé la foi du peuple par la ferveur et la dévotion de la sacristie ; il a vécu dans une petite église, et il s’est cru d’autant plus fort qu’il n’a plus cherché ni à voir ni à pressentir les obstacles. De là beaucoup d’aveuglement et de présomption. Ainsi, au commencement de la session présente, il croyait que tout allait à souhait, et que la chambre revenait disposée presque tout entière à l’applaudir et à le soutenir. Aussi, quand sont venus les désappointemens, quand l’expérience a prouvé que son thermomètre marquait moins bien la température morale et politique du pays que le thermomètre de l’opposition, le ministère, tout ébahi et tout étonné, a crié à l’intrigue, et c’est par l’intrigue seulement qu’il a cherché à expliquer sa défaite.

Tout cela est grave et mérite de la part du parti conservateur une sérieuse attention. Un ministère qui ne peut plus vivre, des élections qui seront funestes si elles sont faites sous les auspices du ministère qu’on veut conserver, l’impossibilité de faire les affaires courantes du pays dans une chambre que personne ne gouverne plus et qui n’a foi à personne, pas même en elle ; l’atonie du pouvoir en face de laquelle se réveillera bientôt l’énergie des partis extrêmes qu’avait domptés la raison publique, l’idée de voir, ce que Dieu veuille éloigner de nous, la crise toujours possible de la régence aggravée par une crise électorale, voilà les préoccupations qui