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ils comparent 1845 à 1839 : ils oublient combien le rapprochement de ces deux dates est cruel pour M. Guizot.

Nous ne voulons rien exagérer, et nous cherchons avant tout à nous rendre un compte exact de la situation. Depuis quinze jours, si nous ne nous trompons, la portion du parti conservateur qui veut maintenir le ministère se convainc chaque jour davantage des difficultés de la tâche qu’elle a entreprise. Nous ne sommes plus dans ces heures de dévoûment enthousiaste qui ont suivi le vote sur l’adresse, et la réunion Lemardelay serait aujourd’hui moins nombreuse et moins fervente qu’elle ne l’a été. Beaucoup d’hommes éclairés et modérés du parti ministériel s’aperçoivent qu’ils ont fait une faute en cherchant à sauver le ministère à tout prix. Nous savons combien les motifs qui ont poussé le parti conservateur à cette erreur sont nobles et généreux : il a voulu montrer sa fidélité ; mais il y a pour les partis deux sortes de fidélités, la fidélité aux hommes et la fidélité aux principes. Nous ne blâmons pas la fidélité aux hommes, mais nous préférons la fidélité aux principes, et jusqu’ici c’est cette fidélité qui a fait la force du parti conservateur. Investi du droit de prendre part au gouvernement du pays, il a eu, jusqu’ici, cet égoïsme que nous appellerons généreux et habile, qui est l’apanage de la royauté elle-même : il a songé au pays plus qu’aux hommes ; il s’est séparé tour à tour de ceux qui quittaient son drapeau ou qui perdaient leur force ; il s’est séparé de M. Thiers, de M. Guizot, de M. Molé, de M. de Montalivet ; il est resté lui-même, c’est-à-dire un grand parti qui puise sa force dans l’estime du pays et dans son inébranlable adhésion à la couronne. C’est ainsi qu’il agit en 1839, quand, à demi vaincu dans les élections, il n’a pas hésité à chercher, dans une nouvelle combinaison parlementaire, la puissance qu’il n’avait pas trouvée, par malheur, dans l’urne électorale. Il n’a pas essayé de se raidir contre les évènemens ; il n’a pas tenté de sauver à tout prix le ministère du 15 avril. Les hommes éminens de ce ministère ne lui auraient pas permis ce suicide par fidélité ; ils aimaient mieux leur parti qu’eux-mêmes. L e parti conservateur n’a donc songé qu’à maintenir sa juste prépondérance et sa légitime action dans le gouvernement du pays. Il s’est allié avec les bommes les plus modérés de l’ancienne coalition, avec M. Passy, M. Dufaure, M. Duchâtel. Au lieu d’employer la force à faire vivre les morts, chose impossible, il a mieux aimé l’employer à régler les combinaisons parlementaires et ministérielles ; il a mis son poids dans la balance de l’avenir au lieu de le jeter imprudemment dans la balance du passé : c’est par là qu’il est resté puissant.

Aujourd’hui, le parti conservateur semble s’appliquer à prendre le contre-pied de tout ce qui avait été fait en 1839. En 1839, le ministère du 15 avril, à demi vaincu dans la discussion de l’adresse, en appela loyalement au pays et prononça la dissolution de la chambre. En 1845, le parti conservateur n’a pas voulu que le ministère, vaincu aussi dans la discussion de l’adresse, intentât un recours devant le pays. Il s’est réuni autour du cabinet pour le décider à rester aux affaires et à conserver la chambre, et il n’est pas inutile