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de M. Villemain. Cette santé si chère est rendue aux lettres, à l’éloquence, à l’amitié, à la tendresse paternelle, aux sentimens les plus nobles et les plus doux de la vie. Tous ses amis l’ont vu ; tous ont pressé sa main avec attendrissement. C’est toujours le même esprit, la même ironie fine et délicate, la même intelligence supérieure. M. Villemain parle du ministère avec un ressentiment que tout le monde trouvera légitime ; mais il exprime ce ressentiment d’une façon calme et digne. On sait que le président du conseil a reçu de M. Villemain une lettre pleine de noblesse, où l’ancien ministre refuse la pension demandée pour lui aux chambres. La demande a été retirée en vertu d’une ordonnance royale. M. de Salvandy a offert à l’honorable pair de rétablir pour lui les fonctions de chancelier de l’Université ; cette offre a été également refusée. M. Villemain ne veut rien accepter du cabinet ; il veut garder vis-à-vis de lui une liberté complète. Il veut pouvoir dire ce qu’il pense de ce singulier empressement que l’on a mis à lui faire prononcer le mot de démission, et à s’emparer de ce mot qui n’avait point de sens au moment où on l’a surpris dans sa bouche. Il veut signaler les, motifs de cette précipitation. Il veut parler librement du projet de loi sur l’enseignement secondaire, chose qu’il n’a pu faire jusqu’ici, et montrer comment, ce projet étant devenu un embarras pour le ministère, on a saisi l’occasion d’une fièvre cérébrale pour se délivrer du projet et du ministre en même temps. Il faut entendre l’illustre pair raconter les détails de cette douloureuse maladie, que le public aurait pu ignorer. C’est un récit qui ne fait pas honneur au cabinet. Les tristes révélations qui ont déjà couru sur cette malheureuse affaire peuvent être comptées parmi les causes de l’agitation croissante qui se remarque dans l’opinion.

Si le parti ministériel s’affaiblit, l’opposition, au contraire, conserve toutes ses forces. Elle n’a essuyé aucune défection ; le même accord existe toujours dans ses vues. Tandis que la phalange ministérielle est violente et exclusive, l’opposition, fidèle au drapeau qu’elle a arboré depuis l’adresse, se montre modérée et conciliante. Chaque parti a ses lieux de réunion. Les ministériels ardens forment une espèce de club où l’on prend des mesures de salut public sous l’empire de la colère et de la peur, et où on lance des anathèmes contre les dissidens. L’opposition se réunit indistinctement dans des salons de bonne compagnie, où l’on parle de politique sans emportement, et où l’on n’excommunie personne. M. de Montalivet a ouvert son hôtel pour un grand bal, et l’on a rencontré sur ce terrain de conciliation M. Molé et M. Thiers, causant dans une intimité parfaite. Des hommes politiques de toutes les opinions accourent en foule les mardis aux réceptions brillantes de M. le comte Molé. Les salons de M. Thiers, ceux de M. de La Redorte, présentent le même accueil à toutes les nuances de l’opinion constitutionnelle. Tel est l’esprit de tolérance et de concorde qui anime le camp de l’opposition. C’est une trêve qui peut devenir une paix durable. Aussi ce spectacle, si rassurant pour les bons citoyens, irrite au dernier point les amis exclusifs du cabinet. Ils poussent des clameurs, ils crient à la coalition ;