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au paradis de Dante qu’à l’Académie française : sa peinture idéale des béatitudes de l’Institut s’est trouvée bientôt démentie. Il y a encore, à ce qu’il paraît, guerre civile dans l’Élysée. M. Étienne est venu déclarer que la célèbre compagnie n’avait renié ni ses lois, ni ses dieux. De quelle Académie s’agit-il ? Est-ce de celle de M. Victor Hugo où l’on est frères plutôt que confrères ? J’en doute un peu. Il y a donc l’Académie de M. Étienne et l’Académie de M. Hugo à laquelle croire ? Peut-être que si on interrogeait les quarante membres, on trouverait quarante académies différentes. Hélas ! l’éloquent poète nous avait arrêtés devant un mirage.

Les allusions de l’auteur de la Jeune femme colère avaient évidemment bonne intention d’atteindre l’auteur de Notre-Dame de Paris. C’était une riposte au manifeste de la précédente séance, car M. Mérimée, dans son discours, avait soigneusement évité tous les prétextes de rencontre ; il n’avait même pas caractérisé l’influence toute singulière et le rôle à part de Charles Nodier dans les rénovations du romantisme. M. Victor Hugo a donc payé pour les méfaits de Nodier et même pour ceux de M. Mérimée : heureusement l’illustre auteur des Feuilles d’automne est assez riche pour solder, si lourds qu’ils soient, ses comptes à la critique. Quand M. Étienne est arrivé à l’auteur de Colomba, ses rancunes classiques étaient satisfaites ; il a pu ne pas marchander les louanges au récipiendaire. On le devine, nous acceptons sans aucun scrupule tous les éloges donnés par M. Étienne avec une bonne grace dont il faut lui savoir gré ; seulement nous les aurions voulu plus choisis, plus nuancés, mieux appropriés aux mérites originaux, au talent si français de M. Mérimée. M. Étienne avait une belle occasion de faire, par l’apologie même du nouvel académicien, la satire de nos mœurs littéraires. Les contrastes ironiques eussent fait saillie à chaque instant. Quelle est, en effet, la plaie de presque tous les écrivains d’aujourd’hui ? N’est-ce pas qu’au lieu de guider leur imagination, ils se laissent guider par elle ? Eh bien ! M. Mérimée a fait l’opposé toute sa vie, et c’est même là l’une des qualités qui constituent sa force. Nous avons des génies qui étalent de grandes théories et qui les contredisent par de médiocres ouvrages ; M. Mérimée, au contraire, n’affecte pas d’avoir une haute esthétique, il se contente de composer des récits charmans. Voyez si ce sceptique heureux et circonspect a eu aucun de nos engouemens enthousiastes, aucune de nos maladies poétiques. Tandis qu’autour de lui on prodiguait sans compter et qu’on distendait les petits sujets en nombreux volumes, il a toujours enfermé l’émotion et comme concentré l’intérêt ;