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et presque opposées. Aussi n’en était-il que plus intéressant de voir comment le spirituel récipiendaire se tirerait de ce pas difficile, comment le romancier de la réalité louerait le romancier des chimères, comment l’écrivain qui s’est appliqué à reproduire la vérité positive garderait sa contenance en plein panégyrique officiel. C’est par là qu’était surtout excitée la curiosité de l’auditoire charmant et mondain qui se pressait à la dernière séance de l’Institut. L’attente, il est vrai, n’était pas mise en émoi comme à la précédente réception, parce qu’on ne comptait pas sur un tournoi littéraire, et que la rencontre entre M. Mérimée et M. Étienne paraissait devoir être beaucoup moins belliqueuse qu’entre M. Saint-Marc Girardin et M. Victor Hugo. Ce n’était plus cette fois la scène d’Ulysse et du cyclope ; mais l’intérêt semblait compensé par le piquant même du sujet. Au lieu du poète insignifiant de l’Enfant prodigue, on avait cette gracieuse et avenante figure de l’auteur de Trilby, pour laquelle, surtout quand on a pratiqué l’homme et qu’on l’a aimé (c’était la même chose), on ne se sent au cœur que faiblesse et indulgence.

Cette indulgente faiblesse ne fait pas précisément le fond de l’ingénieux et fin discours de M. Mérimée. Je me l’explique M. Mérimée n’avait pas connu Charles Nodier. On ne pouvait d’ailleurs demander à l’auteur de la Chronique de Charles IX de manquer à tous ses antécédens et d’abdiquer cette fois sa manière habituelle ; c’eût été le priver de ses meilleurs avantages. M. Mérimée a la haine de la rhétorique, et ce n’est pas nous qui lui reprocherons de s’être le plus possible dérobé à l’emphase apologétique du speach d’académie : on serait tenté bien plutôt de lui en faire compliment. Il n’y a rien d’aussi plat que la notice de convention et que les banalités de l’éloge légal : cela ne trompe personne et ennuie tout le monde. M. Mérimée a su échapper de tout point à cet écueil ; sa nette et spirituelle biographie de Nodier n’a presque pas cessé de provoquer ce sourire d’approbation qui, dans la bonne compagnie, est un signe d’assentiment plus flatteur que les bravos bruyans des chevaliers du lustre. On ne peut pas dire que M. Mérimée ait été séduit par son sujet ; il l’a traité avec la plus parfaite et la plus stricte convenance, mais sans s’abandonner un instant aux illusions de la sympathie. D’autres, en se penchant amoureusement vers cette muse magicienne de Nodier, se seraient laissé prendre à ces jeux sans fin de lumière, à ces éblouissemens du caprice. Espiègleries de lutin qui s’échappe, airs provoquans de la fée Ondine qui fuit sur son dragon d’or, taquineries charmantes de la reine Mab qui, de sa conque de nacre, jette en courant des fils tentateurs,