Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

direction des évènemens avait échappé depuis long-temps aux hommes mêmes qui les avaient provoqués, et ceux-ci avaient déjà presque tous disparu de cette scène agitée. Le prince de Condé était tombé à Jarnac sous l’arquebuse de Montesquiou, le duc de Guise avait été assassiné devant Orléans par un serviteur de Châtillon, le connétable avait péri à Saint-Denis, le maréchal de Saint-André à Dreux, le roi de Navarre avait succombé à la blessure reçue au siège de Rouen, au moment où il rêvait dans la tranchée au repos qu’il goûterait un jour sous les orangers des Baléares. Tous ces grands chefs n’étaient plus, la guerre et l’assassinat en avaient délivré le royaume. Pourtant la situation était plus troublée et le pouvoir royal plus impuissant que jamais. Catherine n’avait pas marché d’un pas plus assuré dans cette route que la mort avait ainsi nivelée devant elle. Subissant donc dans toute son étendue l’empire des passions soulevées, après s’être reconnue incapable de les contenir, la reine-mère résolut un jour de faire oublier à force d’audace les longues hésitations de sa pensée et la duplicité de sa conduite. Mettre un abîme entre elle et les réformés, donner un gage terrible aux catholiques, lui parut une combinaison habile et sûre pour échapper à ses propres incertitudes et pour conquérir cette prépondérance qu’elle poursuivait en vain depuis si long-temps.

C’était en 1572 : la paix était faite depuis deux ans, une paix pleine de troubles et de soupçons, comme toutes celles qui l’avaient précédée, et qui ne permettait pas de compter sur le lendemain. Cependant les chefs des deux partis étaient tranquilles, car on avait ménagé tous les intérêts particuliers et largement servi la cupidité des grands, à quelque religion qu’ils appartinssent. Coligny se montrait au Louvre à côté du jeune duc de Guise, et, sur l’ordre du monarque, celui-ci s’asseyait à la table royale près de l’homme auquel il imputait l’assassinat de son père. L’austère Jeanne d’Albret avait quitté ses montagnes, et consentait à voir de ses yeux les pompes de la cour catholique ; Henri de Béarn, son jeune fils, était appelé à l’honneur de la plus haute alliance du royaume, et Charles IX l’allait chercher dans le camp des huguenots pour l’appeler son frère. L’enivrement des plaisirs succédait à celui des armes. Le Louvre se dépouillait du sombre appareil dont il était revêtu depuis si long-temps, et sous les voûtes de Notre-Dame on voyait réunis pour le royal mariage les plus illustres soutiens des deux religions. Charles IX applaudissait à cette union symbolique, car il était las de régner au milieu des alarmes, et, sentant la vie lui échapper, il aspirait à en jouir. Le jeune monarque