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par Venise et par le nord de l’Italie. La France triompha dans cette épreuve par l’énergie de sa foi populaire, le calvinisme ne parvint pas à identifier sa puissance avec celle de la royauté et de l’aristocratie aussi étroitement que dans le reste de l’Europe, par un concours de causes qu’il est important d’observer.

La Providence, qui semble réserver la France à une mission religieuse dont elle n’a pas conscience entière, avait en quelque sorte pris ses mesures à l’avance pour l’empêcher d’être envahie par l’hérésie. Sans être irréprochable, le clergé français était moins dissolu que celui dont Luther avait pu signaler avec trop de justice les vices et les souillures. D’un autre côté, aux mauvais rapports qui avaient existé entre Louis XII et Jules II avaient succédé, depuis l’avènement de Léon X à la papauté, les relations les plus bienveillantes. Le concordat conclu avec le pontife réservait aux rois très chrétiens la nomination directe aux évêchés et la collation de la plupart des bénéfices. Cette prérogative épargnait à la royauté la principale tentation d’une rupture. Les dignités ecclésiastiques directement conférées par la couronne étaient d’ailleurs le plus souvent attribuées à la noblesse de cour, et si cet usage eut pour résultat regrettable d’affaiblir l’esprit ecclésiastique, il empêcha du moins l’aristocratie française de convoiter les dépouilles de l’église avec autant d’ardeur que dans le nord de l’Europe. Enfin l’unité nationale était trop fortement constituée à cette époque pour qu’il fût possible d’aspirer à la briser au profit des ambitions princières, comme cela s’était fait en Allemagne. Au XVIe siècle, toutes les grandes provinces de la monarchie étaient réunies à la couronne, et quelques efforts qu’aient tentés pendant près d’un siècle les chefs successifs des réformés, depuis le premier prince de Condé jusqu’au dernier duc de Rohan, pour provoquer le morcellement du territoire, leurs projets de fédéralisme n’en ont jamais compromis gravement l’intégrité. Si ce grand travail d’assimilation territoriale n’avait été terminé avant les derniers Valois, la réforme aurait trouvé dans le royaume un accès beaucoup plus facile.

Les parlemens repoussèrent aussi le protestantisme par esprit de corps et par intérêt de parti. Ils s’étaient attribué des droits d’intervention exagérés sans doute sur les juridictions ecclésiastiques et la discipline même de l’église ; mais cette intervention suffisait à leur ambition, et leur orgueil trouva autant de profit à rester gallicans qu’à se proclamer calvinistes. Quant aux universités, qui, à de rares exceptions près, furent le centre de la plus vive résistance aux doctrines protestantes, on sait qu’elles repoussaient alors systématiquement