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divine son action souveraine sur l’humanité, elle subordonnait cette parole elle-même à tous les caprices de notre orgueil, à toutes les faiblesses de notre intelligence. Si elle conservait au christianisme son caractère de révélation surnaturelle, c’était en arrachant à celle-ci l’infaillibilité qui la conserve, et sans laquelle l’œuvre de Dieu se trouve soumise à celle de sa créature. Abîme d’incohérence et de non-sens, le protestantisme attribuait à l’esprit de l’homme l’interprétation de la parole divine, alors qu’il déniait le libre arbitre à sa conscience ; combinant l’austérité et le relâchement, il exagérait les rigueurs inutiles et supprimait les pratiques nécessaires, il jetait le prêtre marié dans tous les soucis de la vie du monde, en même temps qu’il refusait au monde la consolation et l’appui du tribunal de la pénitence.

Si le temps a pu mettre en relief ces contradictions de la réforme, elles n’échappaient nullement au siècle grave et savant qui la vit naître. Aussi faut-il reconnaître que, si en moins de trente années l’hérésie s’étendit sur la moitié de l’Europe, de tels progrès ne pouvaient s’expliquer que parce que Luther perpétra une révolution sociale en affectant de poursuivre une révolution religieuse.

Débarrasser les princes électeurs du joug que faisaient peser sur eux les constitutions de l’empire germanique, faciliter à Henri Tudor ses sanglans hyménées, permettre à Gustave Wasa de rémunérer les services de ses pauvres compagnons par le pillage des églises et la distribution des terres ecclésiastiques, livrer à la dévastation, des bords de la Baltique à ceux de la Méditerranée, les vieilles abbayes, les nobles commanderies et les manses épiscopales, ce n’était pas faire de la théologie, et je ne sais pas d’œuvre plus exclusivement politique que celle-là.

En substituant à l’unité du saint-empire une anarchie au sein de laquelle s’arrondirent quelques souverainetés au détriment de la patrie commune ; en battant monnaie dans tout le nord de l’Europe avec les vases du sanctuaire ; en recommençant en Angleterre, au profit de l’aristocratie, épuisée par les guerres civiles, l’œuvre de spoliation consommée en d’autres temps par la conquête normande, Luther a été un révolutionnaire pur et simple, et, dans sa pensée intime, le temps qu’il donnait à la controverse n’était pas certainement le plus utilement employé. La France se trouva menacée à son tour par l’invasion protestante. C’est un des momens les plus solennels de son histoire, et de l’histoire du christianisme tout entier. Son adhésion à la réforme aurait porté à l’unité catholique un coup terrible ; cette défection eût tôt ou tard entraîné l’Europe méridionale, déjà menacée