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NOTRE-DAME DE NOYON.

Ainsi mettons de côté la cathédrale de Laon comme toutes les autres. Pas plus d’exceptions miraculeuses en Picardie qu’en Normandie. Partout l’art a suivi, non pas une marche uniforme et régulière, tant s’en faut, mais un certain mouvement de progression plus ou moins lent, plus ou moins rapide, sans jamais cesser d’être continu. Nulle part de ces pas de géant qui franchissent d’un bond la carrière ; nulle part de ces coups d’essai valant mieux que les coups de maître ; partout, au contraire, entre l’ancien et le nouveau style, un temps de passage, plein de diversité, variable dans sa durée comme dans ses formes, mais nécessaire ; partout, en un mot, une époque de transition.

C’est là le premier point qu’il importe de constater ; puis, une fois démontrée la nécessité et l’universalité de l’époque de transition, reste à déterminer, d’une manière générale, à quel moment elle commence.

Nous l’avons affirmé déjà, et nous le répétons avec plus d’assurance, ce n’est pas durant le XIe siècle. On peut à cette époque rencontrer des ogives éparses, on trouve même, à mesure que le siècle est plus proche de sa fin, de plus nombreux essais de la forme nouvelle ; mais ce ne sont que des essais isolés, des tentatives qui s’ignorent, des exemples sans imitateurs.

Pendant les premières années du XIIe siècle, ces essais ont dû se multiplier, sans toutefois qu’on puisse encore citer aucun monument à date certaine dans lequel l’ogive joue un rôle vraiment important.

De 1120 à 1140, au contraire, on aperçoit plus clairement un parti pris, une intention systématique de substituer la nouvelle forme à l’ancienne. Les ogives commencent à se montrer par séries et souvent

    respect pour les anciennes traditions dans l’abbaye ; mais ni d’un côté ni de l’autre on ne saute deux ou trois degrés intermédiaires, soit en arrière, soit en avant. Les différences se bornent à des nuances peu sensibles. Ici, au contraire, deux styles entièrement opposés sont en présence ; leur apparition simultanée serait déjà un vrai prodige, mais on va plus loin. On veut que celle de ces deux églises qui est la plus moderne en apparence, c’est-à-dire la cathédrale, soit en réalité la plus ancienne. Ce premier point établi, on n’est malheureusement pas maître de rendre la cathédrale plus ancienne seulement de vingt ou trente ans ; l’hypothèse d’une reconstruction totale, en 1114, est, comme on sait, inadmissible : il faut donc remonter à un siècle ou deux pour assister à la construction première de l’édifice ; dès-lors les moines de Saint-Martin, en construisant leur église, ont dû faire un terrible effort rétrospectif, puisque l’aspect qu’ils lui ont donné est plus ancien que celui d’un monument qui aurait été bâti plus de deux siècles auparavant.

    N’avions-nous pas raison de dire que cette observation, sur les caractères de l’architecture propre aux abbayes et aux églises séculières, n’était vraie que dans une certaine mesure, et l’application qu’on en voudrait faire ici ne serait-elle pas complètement dépourvue de fondement ?