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dotés, soit par le zèle des fidèles, soit par la munificence de nos rois, comme l’église Saint-Yved de Braisne, par exemple[1], il n’en est pas un seul dont la construction n’ait duré vingt, trente, quarante et même jusqu’à soixante ans[2]. Il est donc évident que les travaux qui s’exécutèrent à Laon de 1112 à 1114 étaient des travaux, non de reconstruction complète, mais seulement de restauration. Comment d’ailleurs conserver le moindre doute, puisque le moine Herman, témoin oculaire du désastre, nous apprend que l’église n’avait pas été entièrement détruite, mais qu’elle avait seulement souffert de grands dommages.

Ainsi la cathédrale consacrée en 1114 n’était autre que l’ancienne cathédrale, monument à plein cintre, d’une assez haute antiquité, qu’on venait de consolider, de réparer, afin de pourvoir aux besoins du culte. Au bout d’un demi-siècle environ, ces murailles calcinées auront de nouveau menacé ruine, et il aura fallu les rebâtir de fond en comble. De là l’église actuelle, construction faite évidemment d’un seul jet, bien qu’on y rencontre quelques disparates ; monument dont certains chapiteaux conservent encore une forme un peu romane, mais où l’ogive domine presque exclusivement, et qu’il est difficile de ranger parmi les œuvres de l’époque de transition, tant il semble appartenir plutôt au XIIIe siècle qu’au XIIe.

Est-il besoin de dire que, puisque les travaux de 1114 n’ont été nécessairement que des travaux de restauration, il est impossible de supposer que le monument restauré se soit conservé jusqu’à nos jours, et que ce soit encore lui que nous ayons devant les yeux. D’abord on ne découvre pas sur la maçonnerie de la cathédrale actuelle la moindre trace d’une reprise, d’une réparation aussi importante que dut être celle de 1114 ; en second lieu, la cathédrale de Laon, d’après le témoignage des historiens, était déjà très ancienne lorsqu’elle fut incendiée :

  1. L’église Saint-Yved de Braisnes fut commencée en 1180, par Agnès, femme de Robert, comte de Dreux, fils de Louis VI. En 1216, on y travaillait encore lorsque l’archevêque de Reims et l’évêque de Soissons la consacrèrent ; les travaux n’avaient pas été interrompus : les largesses de la fondatrice permettaient de les pousser avec la plus grande activité.
    Cette belle église, comblée des faveurs royales, ne put cependant être terminée plus vite ; il est vrai qu’elle fut exécutée avec un soin extrême. C’est un admirable modèle de ce style, qui, quoique entièrement à ogive, porte encore un léger caractère de transition.
  2. Les travaux de la cathédrale de Reims durèrent trente ans sans interruption. A Saint-Denis, la reine des abbayes, la reconstruction du XIIIe siècle commence en 1231 et se poursuit sans relâche jusqu’en 1281.