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de septembre, c’est à peu près contre le vœu de la reine que s’est accomplie cette révolution. Profondément dévouée à son mari, le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg, dont la volonté gouverne la sienne d’une façon absolue, doña Maria lui abandonne volontiers tous les soins, tous les tracas de la royauté. A l’heure qu’il est, on peut affirmer que pas une résolution importante n’est adoptée par le ministère que le roi dom Fernando ne l’ait conseillée, suggérée ; il y a mieux encore, dans les circonstances difficiles c’est lui qui préside le conseil, où son avis est prépondérant. Si parfois un dissentiment s’élève entre le roi et les ministres, la reine se fait une loi de demeurer neutre, et il faut bien que les ministres finissent par céder.

Dans les premiers temps, le prince dom Fernando n’avait point des prétentions si hautes, et son ambition se bornait à commander en chef les dix-huit mille hommes dont se compose l’armée du Portugal. En 1838, la révolution de septembre lui ôta son titre de généralissime ; mais d’un autre côté la loi, depuis la naissance de son fils aîné, lui attribuait celui de roi, et le prince dom Fernando a voulu être roi en effet. A notre avis, c’est là une faute sans excuse, et la mesquine satisfaction qu’il peut éprouver à bien faire sentir aux ministres l’influence toute-puissante qu’il a prise sur l’esprit de la reine ne devrait point lui cacher les mécontentemens et les inquiétudes profondes que l’intervention d’un étranger dans les affaires publiques a soulevés au cœur du pays. A cela il faut ajouter que, jusqu’ici du moins, dom Fernando n’a point su, en se faisant un parti, donner à son autorité une solide base ; la haute noblesse, qui, selon ses principes de gouvernement, devrait être son alliée naturelle, lui est plus hostile peut-être que le peuple et la bourgeoisie naissante de Lisbonne et de Porto. Dès son arrivée, dom Fernando s’est mis assez peu en peine de se concilier les sympathies de cette fière grandesse portugaise, qui, par-delà Vasco de Gama, remonte aux grands coups d’épée des Jean d’Avis et des Henri de Bourgogne ; il a essayé plutôt de l’assouplir et de la vaincre par une manifeste intimidation. Il y a quelque temps, le jeune marquis de Valada perdit toutes ses charges au palais pour avoir négligé de se présenter sur le passage de la reine lors d’une visite que celle-ci faisait au monastère de Belem. Depuis des siècles, l’orgueil du noble portugais est proverbial en Europe : est-il besoin de dire que sous ces persécutions inintelligentes il s’est raidi encore, au point, nous le craignons bien, qu’il en est devenu intraitable ?

Nous ne voulons pas nous faire illusion ; en lisant ce qui précède, on aura peine à croire qu’il s’agisse d’un pays d’Europe, de l’Europe constitutionnelle au XIXe siècle. Bien mieux que les cours des rois et des empereurs absolus, la cour de Lisbonne, si l’on met à part le luxe ainsi que les fêtes ruineuses, vous rappellera celles du moyen-âge. C’est à notre corps défendant que nous entrons dans tous ces détails ; mais puisque nous tenons à décrire la situation et les allures du pouvoir en Portugal, ne sommes-nous pas contraint de dire où il réside véritablement et comment il s’exerce ? A Lisbonne, d’ailleurs, les faits que nous venons d’affirmer et ceux que nous nous proposons