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séparément. Nous voudrions le croire ; mais les dépêches même établissent cette relation étroite, cette connexité que l’opposition a démontrée. L’affaire de Taïti a réagi sur celle du Maroc ; le traité de Tanger est un sacrifice fait à M. Pritchard ; et, quant au droit de visite, on a dit que les complications de Taïti n’avaient pas permis pendant un certain temps de s’en occuper. M. Pritchard a donc influé sur le droit de visite comme sur le traité de Tanger.

Il était digne du pays, digne des chambres, de repousser sur ces trois questions la solidarité d’un cabinet imprévoyant et faible, qui compromet les vrais principes par des fautes de conduite, et nuit à la politique qu’il est chargé de soutenir. Telle était la pensée de l’amendement qu’a présenté l’honorable M. de Carné, au nom des conservateurs dissidens. Il ne faut pas se le dissimuler, cet amendement était un refus de concours. Tout le monde l’a jugé ainsi : il accusait le ministère d’avoir manqué de prévoyance et de fermeté dans la conduite des affaires depuis la dernière session. L’équivoque n’était pas possible. M. de Carné a développé son amendement avec une fermeté de sentimens et une dignité de langage qui ont produit sur la chambre une grave impression. M. Billault a fait, en le soutenant, un de ses meilleurs discours. Sur 422 votans, le ministère a eu 28 voix de majorité relative, 13 de majorité absolue.

Les journaux du cabinet ont triomphé. Cependant un peu de réflexion aurait pu diminuer leur confiance. Le ministère avait la majorité ; mais quelle majorité ! Quatorze voix suffisaient pour le renverser. Après la question générale, les questions spéciales allaient venir. Les dispositions de la chambre étaient visibles. Plusieurs membres opposés à l’amendement de M. de Carné déclaraient nettement qu’ils ne voteraient pas pour le ministère sur la question de Taïti.

On s’est demandé si M. de Carné et ses amis politiques avaient suivi la meilleure marche ; si, par un amendement d’une extrême franchise, ils n’avaient pas risqué de compromettre le succès de leur campagne ; s’il n’eût pas mieux valu concentrer les forces de l’opposition sur des amendemens spéciaux, plutôt que d’embrasser ainsi une question générale, où l’on devait être abandonné par ceux des conservateurs dissidens qui ne blâmaient pas sur tous les points la conduite du cabinet. Ces réflexions peuvent être fort justes. Seulement, il est bon de faire savoir qu’elles n’ont pas échappé aux partisans de l’amendement, ni à son honorable auteur. Ils connaissaient fort bien les difficultés du terrain ; mais l’amendement avait pour eux deux avantages : d’abord, celui d’exprimer leur opinion, ensuite celui de l’exprimer avec une clarté évidente pour tout le monde. Peut-être ont-ils mis de l’exagération dans la loyauté ; c’est un reproche qu’on ne fera pas à leurs adversaires.

Après l’amendement de M. de Carné est venu celui de M. de Beaumont sur le traitée Tanger. Le projet d’adresse déclarait que le traité avait prouvé la