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Broglie, tout le monde les connaît ; tout le monde en pénètre le motif. Quel est le jour où M. Guizot écrit à M. de Nyon : « Abderrahman sera sans doute étonné de la modération de la France ? » C’est le 30 août. Et quel est le jour où le gouvernement français consent au désaveu de M. d’Aubigny et à l’indemnité Pritchard ? C’est le jour précédent, le 29 août ! Quoi de plus significatif que le rapprochement de ces deux dates ? Les deux concessions n’en font qu’une. M. Thiers a dit le mot : on craignait un danger apparent, on a jeté du bagage à la mer ; nos victoires du Maroc ont été sacrifiées à M. Pritchard.

Par quel moyen aurait-on pu éviter ce dénouement fatal ? M. Saint-Marc Girardin l’a dit, la grande faute est d’avoir enlevé les négociations au maréchal Bugeaud. Le vainqueur d’Isly, chargé de négocier au camp d’Ouchda, au milieu de sa gloire, eût apprécié mieux que personne la situation d’Abdel-Kader et la force du Maroc. Il tenait les barbares au bout de son épée, il exerçait le prestige ; il aurait imposé des conditions dignes de la France. A Tanger, nous avons traité avec l’Angleterre ; à Ouchda, nous aurions traité avec le Maroc. Aussi, entendez le maréchal Bugeaud. Que dit-il ? Qu’en Afrique, il a blâmé lui-même le traité ! A Paris, le maréchal est devenu indulgent il n’approuve pas, mais il cesse de condamner. Le maréchal se fait une idée peut-être exagérée de la réserve imposée à un agent supérieur du gouvernement. Il savait qu’un mot de lui pouvait renverser le cabinet ; ce mot, il n’a pas voulu le prononcer. Néanmoins, tout le monde a respecté sa réserve. La même justice n’a pas été rendue à M. Saint-Marc Girardin ; son opinion a soulevé une émeute sur les bancs de la droite. On a voulu mettre en suspicion sa loyauté. L’honorable orateur, l’homme d’esprit et de talent a supporté l’orage en homme de cœur, qui n’a pas à se défendre contre des interprétations malveillantes qui ne peuvent l’atteindre. A qui ferez-vous croire que M. Saint-Marc Girardin ait voulu mettre en doute le patriotisme des négociateurs de ranger ? Qui croira que ses critiques aient porté sur le noble prince de Joinville ? En vérité, pour deviner de pareilles choses, il faut être doué d’une sagacité merveilleuse, et pour exploiter de semblables soupçons contre un homme dont le dévouement et la loyauté sont connus, il faut se faire une singulière idée de l’esprit de justice et de bon goût que des gens sérieux, que des gens honnêtes doivent toujours porter dans la discussion.

Dans cette question du Maroc, l’art du ministère a toujours été de s’étendre sur les points où il n’était pas combattu, et de fuir le combat sur ceux où l’opposition le pressait vivement. Un autre moyen dont il a usé sans ménagement a été de s’abriter derrière le prince de Joinville. A voir l’emploi qui a été fait de cette tactique inconstitutionnelle, on pourrait presque supposer que le ministère, en remettant la flotte au jeune amiral, songeait aux argumens que le nom du prince lui fournirait dans la discussion. Ces argumens ont produit leur effet. La majorité, une majorité très faible, il est vrai, n’a pas voulu blâmer par son vote le traité de Tanger. Nous reviendrons