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— « Je suis heureuse (mistriss Montagu écrit en ces termes à sa sœur) d’avoir tardé si long-temps à vous écrire ; mais les affaires et les plaisirs sont tombés sur moi comme des torrens. J’ai passé plusieurs jours à me préparer au bal masqué par souscription, où je devais paraître dans le costume de reine-mère, en satin blanc, avec des crevés de belle dentelle neuve, fichu, manchettes, collier de perles, boucles d’oreille, des perles et des diamans dans les cheveux, et coiffée à la Vandyck. Mistriss Trevor et les deux ladies Stanhope s’étaient occupées de me parer, tellement qu’une fois dans ma vie, j’étais bien habillée. Miss Charlotte Fane était vêtue comme la femme de Rubens et extrêmement bien nous sommes entrées ensemble. Miss Chudleigh était habillée ou plutôt déshabillée d’une manière remarquable. Elle était en Iphigénie, prête au sacrifice, mais tellement nue, que le sacrificateur pouvait inspecter à son aise les entrailles de la victime (might easily inspect the entrails of the victim). Les demoiselles d’honneur, qui ne sont pas les plus rigides des demoiselles, en furent si offensées qu’elles ne voulurent pas lui parler. Mistriss Pitt[1] se montra belle comme si elle fût tombée du ciel vêtue en chanoinesse. Les unes semblaient jolies, les autres riches. Tous les diamans de Londres s’étaient donné rendez-vous. Je pris la brune mistriss Chandler pour une nuit semée d’étoiles. La duchesse de Portland n’avait pas de diamans… J’imagine que vous aurez entendu parler du nouveau livre de lord Bolingbroke ; il est assez court pour nous permettre, à nous autres oisifs et oisives, de le lire ou de le parcourir. »

Nous avons copié, dans son aimable frivolité, ce billet d’une, femme, où le nom de Bolingbroke apparaît avec tant d’effet ; mais pour assister à la fête anglaise du XVIIIe siècle, il faut consulter Selwyn et Walpole, gens à la mode, qui ne manquèrent pas de s’y rendre et complètent le tableau. « Le roi portait, dit Walpole, un habit de gentilhomme anglais de la vieille roche : il le portait fort bien ; un des masques qui fit semblant de se tromper et de le croire un valet, lui donna sa tasse à garder pendant qu’on buvait le thé ; sa majesté prit bien la chose et fut charmée de l’aventure. Le duc de Cumberland, vêtu de la même manière, était énorme et colossal. On a remarqué la duchesse de Richmond, en costume de femme du lord-maire du temps de Jacques Ier, et lord Delawarr en concierge du palais d’Élizabeth ; c’étaient d’admirables fac-simile. Mistriss Pitt, sous un voile rouge, était d’une éclatante beauté. Quant à miss Chudleigh Iphigénie,

  1. Femme de George Pitt devenu lord Rivers.