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admise. L’œuvre immonde de Wilkes fut imprimée par les franciscains, et dans le château de lord Dashwood.

Ce groupe échevelé et extravagant des Wilkes, des Wharton, des duchesses de Kingston, et des lady Montagu, n’eut pas d’expression littéraire véritable ; on ne le voit se refléter complètement dans aucun livre. Le grand-chambellan ne l’eût pas souffert ; le jury était prêt à sévir ; la bourgeoisie rauque et entêtée eût fait brûler le livre et pendre l’auteur. Sterne seul osa et sut reproduire quelques éclairs de ces témérités capricieuses ; il fut obligé d’y mêler bien des larmes et des mystères, bien de l’analyse sentimentale et de l’érudition moqueuse. Il fit passer le tout à la faveur du style le plus ondoyant et le plus chatoyant de reflets incertains qui puisse s’imaginer. Aussi vécut-il avec les grands et les belles dames, qui tous raffolaient de lui et voulaient l’avoir à dîner. C’est le secret de sa gloire vivante ; c’est par ce côté qu’il touche à Crébillon fils, métaphysicien des boudoirs, analyste des caprices, né dans une société bien différente de celle de Sterne. Quant à Sterne, — au pauvre Yorick, — singulier produit des choses bigarrées de l’Angleterre, prêtre métaphysique, cynique et calviniste, bouffon et larmoyant, sensuel et indifférent ; — ce qui lui donne une valeur sérieuse, c’est qu’il est grand artiste de style au milieu de sa fantaisie et profondément triste dans sa joie, comme toutes les amer qui se creusent avec égoïsme et tous les esprits déchirés.

Quelquefois un rejaillissement de ce cynisme étouffé, qui se cachait dans le château de lord Dashwood, atteignait le plus grand monde, et touchait à la royauté même. Lord Cobham pariait (j’en demande pardon à mes lecteurs) qu’il cracherait, en plein salon, dans le chapeau de son ami lord Hervey, et le faisait ; Taaffe et le fils de lady Montagu venaient à Paris, crochetaient le secrétaire d’un juif et le volaient ; ce qui les conduisait droit au Grand-Châtelet : leur seule qualité d’Anglais les sauva. Le Wauxhall, le Ranelagh, créations anglaises de l’époque, les bals par souscription, qui réunissaient toutes les nuances de la fortune, du pouvoir, des titres et de la beauté, recevaient la vive empreinte de cette bizarrerie comprimée, de cette effervescence contenue par le puritanisme des classes inférieures et du monde dévot. La France, si mollement sceptique, si doucement élégante, et trop voluptueuse alors pour être effrénée, n’avait rien de pareil, et la réception même de Mme Du Barry à la cour, qui causa tant de scandale, se passait bien plus paisiblement que la curieuse fête qui mit en émoi la haute société de Londres en 1749 et dont une jeune femme du temps fait ainsi la description :