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une organisation sociale contraire à nos habitudes ; ce qui n’était pas facile.

Sous Mazarin, la France connaissait si peu l’Angleterre, que le poète Saint-Amant, voyageant dans cette région ignorée, signalait Fairfax (milord : Ferreface) comme protecteur des îles britanniques. La fille de notre Henri IV, la jeune Henriette, n’exerça aucune influence sur les sujets de son mari, et son mari lui-même, qui chassa les femmes de chambre françaises et les chapelains catholiques de sa femme éplorée, ne fut point vis-à-vis d’elle l’esclave timide et faible que l’on a prétendu.

Les rapports des deux nations ne devinrent pas plus intimes lorsque Charles II habita le Louvre et reçut l’hospitalité française. On se moquait à Paris de ce roi « qui n’avait pas un fagot, dit Clarendon dans une de ses lettres, pour chauffer les grandes cheminées du palais, et qui n’osait plus sortir parce qu’il n’avait pas payé le cordonnier, le tailleur et le boulanger, qui devenaient importuns (clamorous). » Il rapporta, il est vrai, de son exil un goût vif pour notre civilisation et nos mœurs, et plus tard Mme de Querouailles lui fut adressée par Louis XIV, afin de le maintenir dans ses intentions sympathiques. Vers le même temps Saint-Évremont jouait au quinola, du côté de Blackfriars, avec Hortense Mancini, devenue vieille, mais toujours coquette, et les grandes dames de Londres imitaient de leur mieux les airs magnifiques et les vivacités hardies de M’ne de Montespan.

Ce fut pour Whitehall une époque d’imitation française, ou plutôt de recherche burlesque et de prétentieuse copie de nos mœurs. La grace, qui est l’exquis de la convenance, et qui ne se passe jamais de.sobriété, échappait à ces rudes imitateurs des Lauzun et des La Feuillade. Quant au peuple, qui se tenait à l’écart, il se renfermait dans sa haine et dans sa Bible. Une anecdote contemporaine m’a toujours profondément frappé ; elle met en regard l’élément factice qui doit disparaître et l’élément vital qui doit régner un jour dans la société anglaise. Charles II en bonne fortune, à son ordinaire, se promenait sur les dunes de Brighton, par une belle matinée d’été, en compagnie de cette jeune et jolie marchande d’oranges, Nelly Gwynn, la seule de ses sultanes qui l’ait sincèrement aimé. Au détour d’un sentier, dans le creux d’un vallon formé par les sables mobiles, était couché un jeune enfant du peuple, berger de quinze ans, bronzé par le soleil, à peine vêtu, et qui lisait attentivement une vieille Bible in-folio ; levant les yeux vers le roi et vers sa suite, il les reporta aussitôt sur le volume et continua de lire.