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Ce dernier livre, édité par M. Heneage Jesse, est peu de chose en lui-même. On imprime, un siècle après, les billets que George Selwyn entassait dans son secrétaire. Selwyn ne prenait aucune part aux affaires littéraires et politiques. Ce n’était même pas un homme de valeur ; il avait de l’esprit et surtout la repartie facile, un beau gilet de velours, une simplicité d’excellent goût dans sa parure, un fond d’ennui qui l’empêchait de montrer des prétentions et de blesser les autres, un besoin de sensations qui l’envoyait tour à tour à la table de jeu, et à Tyburn pour y voir pendre. Sa débauche n’avait rien d’effréné, son jeu rien de violent ; ses amours comptaient à peine. Rien de sérieux et d’important ne traverse sa correspondance ; lady Hervey a un équipage, tel mari divorce, tel autre devrait divorcer ; il y a du scandale chez White autour de la table de jeu Selwyn et ses amis ne pensent pas à autre chose. Walpole, le héros de leur monde, s’élève un peu plus haut, il se fait collecteur et amateur de curiosités ; aussi se moque-t-on de lui dans son cercle. Ami de Mme Du Deffand, il introduit auprès de la vieille femme qui s’ennuie ce grand personnage au sourire fatigué, dont le corps plie comme un saule, et dont l’œil terne et à demi fermé semble inattentif à tout ce qui se passe : c’est Selwyn.

Sa pose est nonchalante, son air froid, sa tenue remarquable par une négligence de bon ton, et son costume sans faste ; la simplicité en est nice, comme disent les Anglais, comme nous disions autrefois, — un des excellens mots que nous avons perdus. Eh bien ! cet homme qui sait écouter (grand art), qui sourit à peine, qui laisse tomber languissamment une épigramme de ses lèvres pâles, et joue un jeu d’enfer sans paraître ému le moins du monde, c’est l’homme d’esprit et l’homme à la mode de 1750 ; on applaudit son silence, et quand il a dit il fait chaud, on le trouve profond.

Tout à l’heure il aura perdu cent guinées au pharaon, et, prenant le bras de son ami Fox, tous deux s’en iront gaiement à la chambre, lui pour dormir sur les bancs des ministres, Fox pour hurler de très belles choses contre ces ministres. Il passera ensuite dans les couloirs de la chambre haute où il trouvera l’Écossais lord March, son bon ami, ce petit homme aux cheveux grisonnans, que vous voyez se dandiner là-bas, et qui le conduira chez une de ses pensionnaires, car il en a beaucoup ; la Zamperini, la Tondino, la Rena, — italiennes ; — miss Helena et miss Barbara, anglaises, et dix-neuf autres. — Les Italiennes l’emportaient dans son cœur ; il appréciait surtout les Vénitiennes, et parmi ces dernières la Zamperini, un petit minois, un diable difficile