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se présenta dans la lice avec un mémoire aussi remarquable par une parfaite bonne foi que par les plus grands efforts de patience et d’érudition[1]. Malheureusement l’auteur était mieux préparé aux recherches paléographiques qu’à l’étude des monumens. Il parait en avoir peu vu, peu comparé ; de là vient qu’il fait si bon marché de toute classification chronologique, fondée sur l’étude et sur la comparaison des monumens eux-mêmes. Il lui semble presque puéril d’attacher, en pareille matière, quelque importance aux analogies et aux différences, comme si, en quelque matière que ce soit, la science humaine pouvait reposer sur autre chose. Si M. Delamare avait pour un moment laissé là les textes qu’il étudie si bien, et visité avec des yeux d’archéologue seulement quinze ou vingt monumens du XIIIe siècle pris au hasard ; si, retrouvant dans tous ces monumens les mêmes principes générateurs, au travers de quelques différences secondaires, il avait ensuite porté ses regards sur un certain nombre de monumens de transition, et qu’il eût retrouvé en eux les germes encore incomplets de ces principes communs à tous les monumens du XIIIe siècle, ne se serait-il pas dit, en refermant prudemment ses nécrologes et ses archives capitulaires : Il y a quelque chose de moins trompeur que les écrits des hommes, ce sont les lois nécessaires et constantes de l’esprit humain, et parmi ces lois il en est une qui n’est ni la moins constante ni la moins nécessaire, celle qui veut que ni l’homme ni l’espèce humaine ne fassent rien de complet et d’achevé du premier coup ? Les plus grands siècles comme les plus grands génies ont obéi à cette loi : point de chef-d’œuvre sans ébauche. Et vous voulez que cet admirable système de l’architecture à ogive, avec tous ses effets, avec tous ses secrets, avec sa coupe de pierres si compliquée et si neuve, avec cette audacieuse légèreté, résultat d’une foule de combinaisons que nous voyons éclore successivement et laborieusement pendant plus d’un siècle, vous voulez que tout cela, sans que rien y manque, ait été improvisé un certain jour à Coutances, près de deux cents ans avant que, dans aucun autre lieu du globe, ce système eût été complètement réalisé, et quatre-vingts ans au moins avant que partout ailleurs on songeât à introduire quelques pauvres ogives au milieu des antiques pleins cintres ! A quelle cause attribuer un tel prodige ? L’auteur ne le dit pas, et c’est à peine s’il le cherche, tant il paraît avoir peu conscience qu’il y a là quelque chose qui révolte la

  1. Essai sur la véritable origine et sur les vicissitudes de la cathédrale de Coutances, par M. l’abbé Delamare ; 124 pages in-4 ; inséré dans le XIIe volume des Mémoires de la société des antiquaires de Normandie, années 1840 et 1841.