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complimens et de madrigaux pour la foule, que des épigrammes contre elle et des égratignures. M. Saint-Marc sait si bien son jeu, qu’il peut se permettre les conseils les plus délicats à donner, les plus difficiles à recevoir, ceux qui touchent à l’amour-propre. Certes, il faut plus que de la dextérité, il faut du courage pour fustiger de cette façon, devant le public, tous les mauvais penchans du public, pour fronder tous ses engouemens, pour mettre au vif ses plus chères faiblesses. « Ne riez pas, messieurs, disait M. Saint-Marc après avoir lu un fragment boursouflé de je ne sais quel drame moderne, ne riez pas trop, car peut-être irez-vous l’applaudir demain. » M. Girardin est le seul professeur qui, en chaire, ait tout-à-fait conquis son franc parler.

Une autre nouveauté de cet enseignement, c’est de ne se laisser arrêter par aucune pruderie universitaire. M. Villemain, lui-même, avec sa souple parole, s’interdisait soigneusement tous les sujets scabreux : ainsi, on a de lui tout un volume de leçons de Voltaire, et ni Candide ni l’Ingénu, les deux chefs-d’œuvre de leur auteur, n’y sont désignés, même par voie d’allusion. M Girardin n’a pas cette réserve ; en lieu si grave, il parle de la Pucelle, il parlerait de la Guerre des Dieux, et cela avec une finesse, un tact, un art merveilleux qui, finalement, tournent au profit de la morale. Cela tiendrait-il à ce que M. Saint-Marc fait son cours bien plus encore avec des sentimens qu’avec des idées ? Des idées, on n’en a qu’un certain nombre, et beaucoup en font montre comme d’une inépuisable armée, tandis qu’ils n’ont que quelques invalides tournant autour d’une coulisse ; les sentimens, au contraire, sont inépuisables, ils donnent au discours le mouvement et la vie communicative : on sent que c’est un homme qui parle. M. Saint-Marc connaît d’ailleurs à merveille toutes les ressources, toutes les stratégies de la chaire ; il ménage adroitement l’intérêt, se fait discursif, accoste l’épisode, épargne sa matière, et sait enfin ne pas imiter ces soldats qui, recevant des vivres pour la semaine, mangent tout le premier jour. Ajoutez à cela une parole leste et aiguillonnée, qui ne tient pas à terre, qui court, glisse, ondoie, sème les traits dédaigneux, tourbillonne dans le persiflage, et jette en ricochets les mots heureux. Vous sortez piqué contre le professeur qui a ainsi lancé ses sarcasmes sur vos plus chères illusions, vous jurez même de ne plus revenir, et c’est vous pourtant qui, à la leçon suivante, gravirez le premier les marches de l’amphithéâtre !

M. Saint-Marc Girardin parla long-temps, dans sa chaire, de la littérature du XVIIIe siècle ; dans ces dernières années, il a traité des