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franchement que l’ogive n’est pas d’invention anglaise, et qu’elle apparaît en France plus tôt qu’en Angleterre[1]. Des aveux aussi explicites sont plus rares sur le sol germanique ; mais les faits y parlent aussi clairement. On sait exactement à quelle époque ont été construits les principaux monumens de l’Allemagne ; combien n’en voit-on pas qui sont bâtis à la fin du XIIe siècle, sans que l’ogive s’y laisse apercevoir ! et même au commencement du XIIIe combien sont encore mi-partis d’ogives et de pleins cintres ! Voyez à Gelnhausen les ruines de cet admirable palais que construisit Frédéric Barberousse vers 1180, c’est-à-dire pendant que Notre-Dame de Paris était en pleine construction ; vous n’y trouverez pas la moindre ogive, et bien que les détails de sculpture soient traités avec ce luxe tout oriental qui appartient surtout à l’époque de transition, la masse de la construction est encore empreinte d’une rudesse et d’une sévérité qui pourraient la faire attribuer au siècle des Othon. Soit que vous suiviez les bords du Rhin, soit que vous pénétriez dans l’intérieur du pays, vous voyez pendant tout le XIIe siècle le plein cintre régner sans trouble et presque sans partage : s’il fait des concessions, c’est en maître, et quand vient l’époque où il succombe enfin, il n’abandonne que pied à pied son domaine. Chose étrange ! ce style à ogive, si long-temps arrêté dans sa marche en Allemagne, est réputé par quelques Allemands le

  1. Il est maintenant établi et reconnu par presque tous les archéologues anglais que ce fut seulement vers les dernières années du règne de Henri II (mort en 1189 ) que la lutte entre le style semi-circulaire et le style à ogive commença à se manifester en Angleterre. (V. Gally Knight, Voyage archéologique, Londres, 1836.) Ainsi, dans l’abbaye de Kirkstal, bâtie de 1153 à 1170, on trouve les premiers essais d’ogive bien authentiquement constatés. La crypte de la cathédrale d’York, où l’on voit aussi des ogives, est de 1170. On peut encore citer la partie, à ogive de l’église du Temple à Londres, qui fut consacré en 1185 ; le chœur de la cathédrale de Canterbury, reconstruit dans le style à ogive, après l’incendie de 1175, par jean de Sens, architecte français ; l’extrémité occidentale et la grande tour de la cathédrale d’Ély, bâtie par l’évêque Ridel, qui mourut en 1189. Toutes ces constructions portent le caractère de la transition : ce sont des essais du style à ogive. Ce style n’atteint sa perfection en Angleterre que sous le règne de Henri III, vers le milieu du XIIIe siècle.
    Ce qui prouve combien il rencontra d’obstacles à sa naissance, combien l’hésitation entre les deux styles fut longue et persistante, c’est que même après Henri II, même sous Henri III, on voit encore construire des monumens à plein cintre. Ainsi la nef de la cathédrale de Peterborough, celle de la cathédrale de Rochester, bâties de 1170 à 1194, ne contiennent pas la moindre trace du style à ogive ; le plein cintre y règne seul. Il en est de même de l’abbaye de Fontaine, construite de 1204 à 1244, et enfin dans l’église de Ketton (Rutlandshire), qui date de 1252, ou retrouve encore un exemple de portail semi-circulaire