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partout, excepté au Globe, où la nouvelle école primait sous l’autorité de M. Dubois, que le style miroitant des Lettres dramatiques du Mercure avait momentanément mis en méfiance. Au milieu de cette diversité d’essais, M. Saint-Marc s’était, on le devine, réservé certains points particuliers qui lui plaisaient davantage. En histoire littéraire, il en arrive toujours ainsi ; outre les libres excursions en tous sens, on s’habitue, on se cantonne volontiers dans quelques endroits de prédilection qui sont comme des asiles pour les retours.

M. Saint-Marc Girardin revenait de Berlin quelques jours avant les journées de juillet. Il rapportait de cette excursion beaucoup de vives impressions : il y avait connu Hegel (il ne vit familièrement Schelling qu’à son voyage de 1833), Michelet, et surtout Édouard Gans, qu’il a depuis si délicatement apprécié, et qui le jugeait fort bien lui-même dans cette phrase que j’emprunte à ses Souvenirs : « M. Girardin, esprit fin et caustique, dont l’ironie respecte cependant les principes essentiels des choses[1]. » Avec sa vivacité française, M. Saint-Marc avait plu à Gans, et, lui apprenant beaucoup sur la France, il en avait tiré beaucoup sur l’Allemagne Il est vrai que dans ses Briefe aus Paris[2], M. Gutzkow, avec ce ton de fatuité enthousiaste qui lui est propre, réclamait récemment le monopole de cette éducation germanique de M. Girardin : « Il me demanda, dit-il, des renseignemens et m’apprit la France ; je lui appris l’Allemagne. ; » Voilà une instruction aussi vite donnée que reçue ! A en juger toutefois par les Lettres de Paris, M. Gutzkow aurait été, sous un si habile maître, un bien mauvais écolier. Nous soupçonnons même que le touriste allemand se donne un peu légèrement ces airs de précepteur à l’égard de M. Saint-Marc. Il suffisait à M. Saint-Marc d’avoir Gans pour cicérone : le familier enseignement de l’un des plus éloquens causeurs de notre siècle dispensait des leçons de M. Gutzkow. Ces libres entretiens avec quelques-uns des chefs de la pensée dans une langue voisine, ce contraste du calme de la vie de famille et des agitations de la philosophie, tant de différences avec la France dans la forme des institutions et dans les monumens de l’intelligence, tout cela agit fortement sur l’esprit du voyageur. Il revint si préoccupé de ce qu’il venait de voir, que l’insurrection des trois jours, à laquelle il assistait deux semaines plus tard, ne put le lui faire oublier. Aussi, quelques mois après la révolution, quand M. Girardin monta dans la chaire d’histoire

  1. Ruckblicke auf Personen und Zustande, Berlin, 1836, in-12, p. 69.
  2. Leipzig, 1842, in-12, t. I, p. 68.