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devait être plus forte que le pouvoir. Ce ministère imbécile voulait, ainsi que Commode, descendre dans le cirque, et il croyait que les gladiateurs adverses, comme ceux de l’empereur romain, n’avaient que des glaives de plomb. M. Saint-Marc leur montra en vain le glaive d’acier étincelant aux mains de la presse. Un combat à mort s’engageait, et dès-lors on pouvait dire à la liberté : Morituri te salutant.

C’est dans ces luttes d’avant-garde, dans ce feu croisé de menaces, que se passa la mémorable année du ministère Polignac. Des deux côtés, on parlait de coup d’état et de liberté : quand la liberté et le coup d’état se rencontrèrent, ce fut une révolution. Cette révolution fit naturellement de M. Saint-Marc Girardin un homme politique ; le journaliste de la restauration devint, dès le lendemain, un maître des requêtes de juillet. Il ne faudrait pas croire, du reste, que ces préoccupations de la polémique active aient jamais enlevé M. Girardin aux lettres : sous cette main agile, la littérature et la politique marchaient de front. Et puis, le critique, en mainte occasion, se trouvait servir le publiciste. C’est ainsi que ses articles sur Beaumarchais firent connaître le prince de Talleyrand à M. Girardin. Charmé de cette clarté qui ne sentait pas le travail, du montant tout français de ce style, le vieux diplomate avait désiré voir le jeune écrivain ; il se l’était fait amener par M. Villemain. Cette conversation dégagée, courant droit à l’à-propos, toujours prompte à la repartie, dut plaire à M. de Talleyrand, qui, comparant l’auteur à ses articles, se répéta peut-être que le style, c’est l’homme. M. Saint Marc commençait à percer ; il n’eut pas de peine à se produire, à avoir accès chez M. de Broglie, chez M. Molé, dans les meilleurs salons. Nommé professeur de rhétorique au collége Louis-le-Grand par le ministère réparateur de M. de Martignac, M. Saint-Marc s’avançait aussi peu à peu dans la hiérarchie universitaire, tandis qu’un prix nouveau, et cette fois plus important, lui était décerné par l’Académie française et achevait de le mettre en crédit dans la littérature officielle.

Le Tableau de la Littérature française au seizième siècle, qui fut couronné en même temps que le brillant morceau de M. Philarète Chasles, est demeuré l’une des plus agréables esquisses de M. Girardin. Ne vous avisez point de chercher là une étude minutieuse et savante, l’auteur se garde de pénétrer ; il court sur son sujet, il l’effleure avec grace. Ce que j’aime surtout, c’est que dans ces spectacles confus du XVIe siècle, au milieu de tous ces drames sans dénouement, de tous ces procès en litige, cette intelligence facile porte partout la lumière