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de nous, et dont l’habileté sans friponnerie laisse toujours au lecteur le plaisir d’être incertain sur le résultat. Pour qui sait deviner, un vrai critique s’annonce dans ces : pages, aussi oubliées de l’auteur que de personne.

Sa pointe d’un instant à travers la littérature futile, son rapide passage dans les petits journaux, durent avoir un avantage pour M. Saint-Marc ; ils lui donnèrent tout de suite cette aisance, ce dégagé, cette légèreté ; qui seuls sont peu de chose, mais qui, dans un talent cultivé et sérieux, deviennent une grace et un charme. Avisez-vous d’avoir, au grand concours, le prix de discours français et de venir le lendemain rédiger une page pour la presse ; vous êtes bien sûr de vous trouver dépaysé et de faire l’article le plus gauche du monde. Avec son esprit dispos, éveillé, prêt à tout, M. Saint-Marc, au contraire, se trouva tout naturellement journaliste, quand il eut un journal, comme bientôt, avec sa parole preste et acérée, il se trouvera professeur, quand il aura une chaire. Cette idée d’une chaire lui plaisait : le lendemain de ses études, il serait entré volontiers à l’École normale, si sa famille, qui voyait les professeurs suspendus et l’enseignement en défaveur, n’avait désapprouvé ce projet. Il fallait, sous la restauration, se sentir une vocation véritable pour entrer dans l’Université : après avoir commencé et laissé l’étude du droit, M. Saint-Marc Girardin concourut avec succès, en 1823, pour l’agrégation qu’on venait de constituer. Chargé dès-lors de quelques suppléances dans les collèges de Paris, il devint bientôt suspect de libéralisme aux yeux d’une administration méticuleuse l’abbé Nicolle l’éconduisit poliment. Il fallait attendre des temps meilleurs ; quoique la jeunesse soit impatiente, M. Saint-Marc attendit. Sa vie se passait doucement dans sa famille, et chaque année, aux vacances, il s’en allait gaiement dépenser dans quelque excursion ses minces économies d’agrégé sans chaire et de modeste répétiteur. Les voyages, les douces flâneries à l’étranger ont toujours plu à M. Saint-Marc ; à ses yeux, c’est une manière commode de s’instruire. Aussi, lui qui raille tant de choses définit-il avec complaisance ce qu’il appelle les voyages de badauds[1] : « La badauderie, dit-il, c’est-à-dire voir pour voir, prendre les idées à mesure qu’elles arrivent, se laisser aller aux nouveautés, ne rien étudier et pourtant apprendre, mais d’une manière instinctive, voilà ce que j’appelle la badauderie, et c’est une douce chose qui a ses mérites. » Nous partageons d’autant plus cet avis, que la plupart de ces voyages nous ont

  1. Journal des Débats, 29 mai 1832.