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que demandait ce novateur triomphant, mais l’assurance de jouir long-temps de sa grandeur ; en rompant avec le passé, il voulait se rendre maître de l’avenir.

Mais comment se faisait-il que les insaisissables doctrines de Lao-tseu vinssent aboutir à la magie, aux sortilèges ? Peut-être les plus ardens sectaires, à force de dompter leurs sens et de dégager leur esprit de son enveloppe terrestre, avaient-ils fini par prendre au propre ces paroles du maître : « Celui qui sait gouverner sa vie ne craint sur sa route ni le rhinocéros ni le tigre ; s’il entre dans une armée, il n’a besoin ni de cuirasse ni d’armes ; il est à l’abri de la mort. » Peut-être l’ame, en s’approchant trop de Dieu dans la contemplation, finit-elle par croire qu’elle a dérobé au ciel une parcelle du feu créateur ? Peut-être aussi cet art qui consiste à évoquer les spectres, à commander aux élémens, art cultivé chez tous les peuples, dont on ne peut découvrir l’origine, avait-il été connu très anciennement en Chine, et ceux qui le pratiquaient s’étaient rangés, sans trop de raison, parmi les disciples de Lao-tseu. Au reste, Confucius et les anciens sages, sans chercher à pousser plus loin l’étude de la divination, admettent la possibilité de découvrir l’avenir au moyen des diagrammes et en perçant avec un fer rouge l’écaille d’une tortue. Dans le Tchun-Tsieou (la chronique du royaume de Lou), le moraliste discute sur l’opportunité de faire brûler une sorcière qui avait causé dans l’empire une sécheresse de plusieurs années[1]. Les disciples de Lao-tseu se mirent donc à poursuivre avec ardeur les découvertes imaginaires que négligeaient ceux de Confucius ; ils se firent une part exclusive de tout ce que leurs rivaux laissaient à exploiter dans le vaste domaine de la science occulte.

A la dynastie éphémère des Tsin succéda celle des Han (207 av. J.-C.), qui révoqua les édits de proscription et fit refleurir les lettres. Ce fut une renaissance complète ; on rechercha les livres avec autant d’ardeur qu’on en avait mis à les détruire. L’édifice littéraire de la Chine se recomposa pièce à pièce à peu près tel qu’il était ; cet édifice, reconstruit avec les matériaux épars, s’enrichit des travaux de la critique, et l’histoire en fut la clé de voûte. Les textes, retrouvés dans un moment d’enthousiasme et de réaction, demandaient à être revus, examinés avec soin, soumis au contrôle des lettrés d’un goût sûr. Bientôt la

  1. Il est souvent fait allusion, dans les livres chinois, à cet usage de brûler les sorciers quand ils manquaient leurs opérations magiques. Hérodote (Melpomène, livre IV, § LXIX), parle fort au long de ce même supplice infligé par les Scythes aux faux devins.